De retour de Verdun, à la demande de mes deux aînés, qui voulaient avoir une vision un peu plus claire de ce que leur
disaient deleurs professeur d'histoire, je n'ai pu m'empêcher de reprendre les livre que j'avais lus à leur âge, en commançant par Les crois de
bois, de Roland Dorgelès.
Roland Dorgelès a écrit ce roman en 1919. Ce fut un immense succès. Il manqua le prix Goncourt en 1919 (Proust lui fut préféré pour à l'ombre des jeunes filles en fleurs, ce qui n'était tout de même pas une faute de goût non plus).
Deux choses m’étonnent. La première c’est le nombre infiniment petit des livres écrits sur la guerre, en général, la première mondiale en particulier : les croix de bois, le feu de Henri Barbusse, A l’ouest Rien de Nouveau (de Remarque (prochain article), Orage d’Acier de Junger, L’Equipage de Joseph Kessel et c’est à peu près tout. Il y eu ensuite La chambre des officiers, il y a Tardi et sa verve dessinatrice et c’est à peu près tout. Comme si les survivants ne pouvaient pas communiquer.
Cela me fait penser à une phrase, que j’ai lue quelque part, de Simone Veil (la ministre), rescapée d’Auchwitz (ce qui signifie du camp ET de la marche forcée, marche à la mort imposée par les SS pour échapper au russes en 1945) qui disait, à son retour en France courant 1945 et alors qu’on lui demandait pourquoi elle n’avait pas raconté plus tôt son histoire, qu’il y avait deux raisons. La première était que ses auditeurs ne pouvaient se figurer ce qu’elle avait vécu. Seuls les rescapés pouvaient comprendre, de telle manière que la parole s’est diffusée mais de manière restreinte, interne, à un petit groupe qui pouvait comprendre. La seconde c’est l’ennui ressenti par ses auditeurs. Simone Veil évoque une formule « passe-moi le sel ». Chaque fois qu’elle évoquait ce qu’elle avait vécu dans les camps de la mort, ou qu’elle commençait de l’évoquer, il y avait toujours quelqu’un pour la couper d’un ton qui ne supportait pas de n’être pas suivi d’effet : « passe-moi le sel » ce qui signifie « tais-toi ».
C’est sans doute ce qui justifie le peu de témoignage que l’on recense sur les deux guerres mondiales, autres que des livres d’histoires ou des fictions, cette incapacités pour ceux n’ont pas connu les tranchées de comprendre celles-ci et leurs acteurs, de quelque camp qu’ils fussent, et l’ennui, ressenti par l’ « arrière », les « embusqués », ceux qui ont continué à vivre, par-delà la guerre, et qui , au fond, envisagent la vie au-delà de la guerre, c’est-à-dire au-delà d’un épisode qui a détruit les vies, y compris celles des survivants.
Cette observation donne un sens particulier aux livres que j’évoquais, à commencer par Les croix de bois. Le livre raconte,
sans fioriture, la vie d’une escouade (c’était une formation d’une dizaine d’homme, commandée par un caporal en général, partie d’une section,
commandée par un officier, un lieutenant, elle-même partie d’une compagnie, quelques 150 hommes, quatre sections, commandée par un capitaine, le tout dans un bataillon, puis un régiment, puis une
brigade éventuellement, plus souvent une division, un corps d’armée, une armée).
Une escouade donc, formée de types totalement disparates. Il y a le caporal Bréval, le « cabot » dans l’argot de l’époque, un caporal atypique car il cherche surtout à préserver la vie
de ses gars, à les ménager, il y a Jacques Larcher, le narrateur, qui ne semble être là que pour visiter les impressions livrer par les autres. Il semble être une sorte de mouche, qui parle
parfois, mais ne se livre pas. Il y a Sulphard, un rouennais, gouailleur et râleur, il y a Bouffioux, un gros type qui cherche (et parvient) par tous les moyens, à éviter le front et les
tranchées, volontaire pour n’importe quoi, couturier, conducteur, cuisinier, n’importe quoi plutôt que finir dans une tranchée. Il ira pourtant. Il y a Gilbert Demachy, le riche, l’intello (un
juriste), qui mène la vie des hommes, au caractère doux, le gars sympa. Il y en a bien d’autres, bien entendu.
Tous vivent, et meurent, au rythme des tranchées. Des tranchées, on ne sait trop rien. On devine parfois une localisation ; il est question du bois de Vauquois (j’ai visité), en Argonne, à quelque 30 kilomètres à l’Ouest de Verdun) mais sinon, on ne sait pas dans quelle bataille les gars sont impliqués. On sait que cela commence courant 1915, puisqu’ils commencent le livre avec les pantalons rouge « garance », et touchent l’équipement "bleu horizon" au tout début du récit, et on le livre finit en 1918, tout à la fin. Mais il n'y a jamais aucune date, comme si, et c'était certainement, le cas, les dates n'avaient aucune importance : la guerre devait durer quelques semaines et on devait mettre une raclée aux prussiens ; ensuite, le seul élément temporal était soit les "perm", rares, soit les durées : une semaine dans la tranchée, deux semaine en seconde ou troisième ligne (on prend des obus sur la tête ici aussi), puis l'arrière, et cela recommance, sans fin.
Cette "non expression" géographique et temporalle permet de centrer le livre sur la vie, les impressions des personnages : quel que soit le lieu, quel que soit le camp (la proximité avec le livre de Remarque, A l’ouest, rien de nouveau, c’est-à-dire le côté allemand de la guerre, est à cet égard assez sidérante). Dorgelès ne cherche pas, à coup de formules pédagogiques, à donner au lecteur des informations sur la vie dans les tranchées. Mieux vaut lire à cet égard un bon livre bien fait avant (Pierre Miquel, La première guerre mondiale, par exemple), pour pouvoir se pencher sur la réalité de la vie, la vie imaginaire, la vie pensée, la vie quotidienne de ces laboureurs de la mort.
Un chef d’œuvre, à n’en pas douter, comme les autres que j’a cité, surtout pour nos générations aisées et favorisées, celles qu’o ne connaissent de la guerre, et tant mieux, que les images à la télévision. Mais la réalité de la guerre, celle vécue par les irakiens, tous les soldats qui se battent dans tous les coins de la terre, c’est sans doute la même que celle racontée par Dorgelès.