Alias Caracalla de Daniel Cordier est un témoignage vivrant de ce que
fut la Résistance française, cette résistance qui ne fit pas beaucoup de bruit, celle des villes, des réseaux, des rencontres, des réunions, racontée par un acteur exceptionnel, Daniel
Cordier qui fut de 1940 à 1943 le secrétaire personnel de Max.
Pour ceux l'ignorent encore, Max, Rex, c'est Jean Moulin.
Mais cela Daniel Cordier ne le sait pas ; il ne l'apprendra qu'après la fin de la guerre en entrant dans un restaurant alors qu'un ami lui présente la soeur de Jean Moulin. "Et alors?". Mais
c'est la soeur de Max, ton patron".
Le patron, tel est jean Moulin pour Cordier, durant toutes années, racontées dans un journal qui commence au début de 1940 et s'achève en 1943 (1943 c'est l'arrestation de Moulin, son
"interrogatoire" par barbie à Lyon puis à paris et sa mort alors qu'on le transporte en Allemange).
Le patron c'est une muse pour Cordier, fils de famille, élevé chez les frères, Action française, et maurassien, Camelot du Roi à ses heures, avec ses copains, comme le sont tous les jeunes de
l'époque qui lui ressemblent, fils de bourgeois qui honnissent la république, la "gueuse" et prônent le retour de la Vraie France, une France débarassée des Juifs, Blum et consorts, des
républicains, une France forte, celle de 1918, celle de 1814, en réalité.
C'est un leurre bien entendu, dont Cordier ne se rend pas compte, fuyant l'envahisseur vers Londres, via Pau et un cargo dans lequel ils s'embarquent avec quelques amis et des compagnies de
rencontre, pour se battre, contre l'Allemand, l'ennemi hériditaire, confiant dans le discours de Maurras, dans la verve de Pétain, qui sauront, tous, se liguer contre cet envahisseur, plus fort
aujourd'hui.
C'est la rencontre avec de Gaulle, lui-même, à Londres, ils ne sont qu'une poignée alors, sans uniforme, sans arme, sans argent, l'entraînement dans un régiment de Chasseurs, le choix d'une vie
en France, une vie de clandestin, comme bien de ses copains, qui formeront, d'ailleurs, l'ossature de la résistance, et qu'il ne cessera de retrouver en France et un nouvel entraînement, au saut
en parachute, aux actes de sabotage, aux rencontres, aux boîtes aux lettres, aux techniques de combat rapproché, qui doivent faire de lui un expert dans l'action clandestine. Un tueur. Un
combattant.
Ce sont, déjà, des idoles qui vacillent, l'abandon par Pétain, le suivisme de Maurras, alors que de Gaulle, à Londres, condamné à mort depuis peu, qu'on entouré de communistes et de juifs,
continue de résister. C'est la rencontre avec Raymond Aron, Juif, qui le convertit à la conversation d'un universitaire déjà chevroné, avec la camaraderie militaire, l'envie d'en
découdre.
C'est le parachutage, près le Lyon, la découverte d'une France grise et triste, lorsqu'il la compare à Londres colorée malgré les bombardements.
C'est le début de l'expérience de la clandestinité, des réseaux la rencontre avec Max qui le subjugue, un Max qui s'amuse des idées politique de Cordier, qui explique ses positions, la
République, la démocratie, une autre France et la lente conversion de Cordier, le dégoût devant les exactions contre les Juifs.
Tout cela raconté pas à pas, en respectant les noms de code des personnages qu'il rencontre et donc certains sont l'histoire, le général Delestraint, Claude Bourdet, Pascal Copeau, georges
Bidault, pierre Villon, Pierre Brossolette, Henry Frénay, , etc. Tous, il a affaire à tous, puisqu'il est l'agent de liaison de Max. Il voit
et administre parfois les querelles, les jalousies, le combat pour les places, déjà, les enjeux financiers, les journeaux, la constitution des premiers maquis, les doutes, les morts, les
disparitions, les trahisons.
Bien sûr, ce témoignage, ce journal suppose une certaine familiarité avec les personnages, surtout lorsqu'ils évoluent sous nom de code, mais il reste un livre formidable, une magnifique histoire
vécue et humaine de la Résistance.
Difficile de ne pas comparé avec L'armée des ombres de Joseph Kessel, tourné
au cinéma par jean-Pierre Melville avec une pléiade
d'acteurs inoubliables, Ventura, Signorel, Cassel, qui présente, au fond la même histoire, la même résistance, à Lyon, vue du côté des hommes de main, Gerbier, "le bison", plus réaliste aussi,
avec l'exécution du traitre, simplement évoquée par Cordier, et racontée avec force détails par Kessel.
Etourdissant.