La loi sur la consommation, et notamment ses deux premiers articles sur l'action de groupe, n'est pas encore adoptée que, déjà, les premières critiques, exposées en termes de validité de la loi à venir se font entendre.
Au fond c'est un peu le même processus que pour la loi sur le mariage pour tous, pro et anti se livrent à tout une série de passes d'armes pour 1) identifier ce que sera le contenu, probable, de la loi à venir 2) anticiper ce que pourrait être le contenu d'une décision de constitutionnalité 3) anticiper les arguements de nature constitutionnelle ou conventionnelle pour "pré dire" ce que devrait être la décision de validité.
L'action de groupe n'échappe pas à un tel débat, soit par les "anti" soit par des "ultra". Les arguments des anti sont globalement connus : l'action de groupe est un non sens économique, c'est une brimade dogmatique contre les entreprises, etc. Ce type d'argument relève du jugement de valeur et pourrait être aisément contré par l'utilisation des exemples américains ou québéquois, qui ne sont pas connus pour être des modèles de droit marxiste. Plus intéressant sera le débat, vraisemblable, sur la question de savoir si l'action de groupe est une violation d'une principe, à identifier, selon leque l "nul ne plaide par procureur", qui semble cependant bien envisagé dans le projet.
Plus inattendus sont les arguments des ultra : une partie de la classe politique considère que le projet n'est pas suffisamment courageux et des voix se font fait vivement entendre au Plais Bourbon, pour l'extension de l'action de groupe au projudice environnemental ou sanitaire.
La pression mise sur le Sénat, dont la commission des lois se réunit prochainement sur ce sujet, repose sur l'idée que le projet, en l'état serait anticonstitutionnel en ce que la limitation de l'action de groupe aux seuls projudices subis par les consommateurs, mais également que la réservation des actions de groupe aux seules associations agréées de consommateurs, seraient anticonstitutionnelles.
Nous avons eu l'occasion de regretter l'exclusivité ainsi réservée aux associations de consommateurs (JCP éd. E, 2013, XXX), mais le Professeur Russeau a récemment envisagé des arguments de nature constitutionnelle, en répondant aux question de l'excellente Laurence Neuer : l'exclusivité des associations de consommateur serait ainsi une atteinte au principe d'égalité non justifiée par un objectif d'intérpet général et une atteinte au principe de la liberté d'association et au principe du droit à un recours juridictionnel effectif.
Faut-il cantonner l'action de groupe aux contentieux de consommation de masse ou au contraire l'étendre à l'environnement et à la santé ? La question se pose alors que la commission des Lois du Sénat va se réunir mardi. Certains juristes ont en effet pointé le risque d'inconstitutionnalité d'une telle restriction, même si, pour sa part, la ministre de la Santé Marisol Touraine a annoncé un projet dans ce sens pour le début 2014. Autre point en débat : le monopole de l'initiative de l'action devrait appartenir aux seules associations nationales de consommateurs agréées. L'objectif est notamment de verrouiller la judiciarisation de la vie économique. Mais ce point pourrait aussi se voir retoqué par les Sages. Sur quels fondements juridiques ? Le Point.fr a interrogé Dominique Rousseau, professeur à l'école de droit de la Sorbonne. Entretien. Le Point.fr : Le projet prévoit que seule une association de consommateurs agréée sera habilitée à introduire l'action de groupe : en quoi une telle restriction vous paraît-elle anticonstitutionnelle ? Dominique Rousseau : Le projet prévoit, en effet, que seule "une association de défense des consommateurs, représentative au niveau national et agréée" peut engager une action de groupe. Or cette exclusivité porte atteinte d'abord au principe d'égalité. Et le Conseil constitutionnel censure régulièrement toute différence de traitement qui n'est pas justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi ou par un motif d'intérêt général. En l'espèce, quel est l'objectif poursuivi par le législateur ? Faciliter le traitement des contentieux de masse et "défendre les victimes des pratiques illicites ou abusives d'un même professionnel". Or, au regard de cet objectif, une association non agréée est dans la même situation qu'une association agréée. Au regard de l'intérêt général, cette exclusivité n'est pas davantage justifiée puisqu'elle restreint l'ouverture d'action de groupe et grignote l'intérêt général poursuivi par la loi. Et une telle restriction n'est justifiée par aucune différence de situation objective puisque, par définition, une association non agréée poursuit le même objectif qu'une association agréée. Certaines associations envisagent d'introduire une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) fondée sur le fait que le texte en sa forme actuelle porte atteinte au droit de tout un chacun d'exercer un recours effectif. Qu'en pensez-vous ? En effet, l'exclusivité des associations agréées porte aussi atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif et à la liberté d'association, dans la mesure où il subordonne l'exercice d'une action de groupe à une autorisation administrative préalable. Ainsi, le projet de loi conduit l'État, par la procédure de l'agrément, à choisir les parties à un procès, à priver des associations du droit d'accès au juge et à s'immiscer dans l'exercice de la liberté d'association. Les préjudices subis par les petits porteurs ou liés à l'utilisation de pesticides par exemple ne pourront donc pas être réparés au travers de cette procédure. Une telle limitation est-elle attaquable devant le Conseil constitutionnel ? En l'état actuel du projet discuté, seuls les préjudices individuels subis par des consommateurs pourront ouvrir une action de groupe. Là aussi, cette conception restrictive des préjudices susceptibles d'être réparés par une action de groupe heurte la Constitution. Les exclusions prévues, notamment à l'égard des litiges boursiers et financiers, mais aussi environnementaux ou médicaux (Médiator ou implants PIP, par exemple), portent une atteinte disproportionnée au principe de responsabilité et au droit des victimes à réparation reconnus encore récemment par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 juin 2010. Car tous ces préjudices exclus sont aussi substantiels que les préjudices liés à la consommation et, comme pour ces derniers, l'état actuel des recours juridictionnels disponibles n'est pas pleinement effectif. Le rapporteur Sébastien Denaja a, lors des débats parlementaires, fait observer que l'environnement était déjà inclus dans l'action de groupe puisque celle-ci n'empêche pas, par exemple, les consommateurs lésés par un fournisseur de services en matière d'énergie ou de distribution d'eau. De même, concernant la santé, rien n'empêcherait juridiquement les victimes des prothèses PIP d'intenter une action de groupe concernant le seul achat de la prothèse. Que pensez-vous de cet argument ? C'est un argument surprenant dans la bouche d'un parlementaire, puisque c'est le législateur qui renvoie aux juges le pouvoir d'étendre le domaine des actions de groupe au-delà de la lettre de la loi ! Pour que l'action de groupe touche tous les domaines - environnement, santé... -, il faudrait qu'elle soit inscrite dans le Code civil, comme le prévoyait d'ailleurs la proposition de loi sur l'action de groupe déposée par les socialistes en 2009, lorsqu'ils étaient dans l'opposition ; or, actuellement, l'action de groupe est inscrite dans le Code de la consommation, ce qui en limite le domaine d'application. Une saisine du Conseil constitutionnel avant la promulgation de la loi est-elle envisageable ? Qu'en serait-il une fois la loi votée ? Une saisine du Conseil est toujours possible après le vote de la loi et avant sa promulgation par soixante députés ou sénateurs. Dans l'hypothèse où la loi ne serait pas soumise au Conseil avant sa promulgation, elle pourrait l'être par le moyen de la question prioritaire de constitutionnalité. Il suffirait qu'une association non agréée intente une action de groupe et soulève à cette occasion la constitutionnalité du monopole accordé aux associations agréées. Le législateur sait parfaitement que le risque d'inconstitutionnalité existe et, plutôt que de répéter les mésaventures de la taxe carbone ou de l'impôt à 75 %, il serait plus sage qu'il revoie l'écriture de la loi.