Voilà un arrêt qui va faire grand bruit.
Le contexte est celui de l'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, c'est-à-dire du contrôle, par les règles du droit de la concurrence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations nés d'un contrat, auquel est "soumis" un "partenaire économique". Les termes sont vagues mais rappellent ceux de l'article L. 212-1 du Code de la consommation (ex. L. 132-1) et, d'ailleurs, c'est sur cette parenté que le Conseil constitutionnel avait validé le texte (Déc. Cons. constit. QPC 2010-85, 13 janv. 2011). Ils rappellent surtout les termes du nouvel article 1171 du Code civil.
Bref trois textes aux champ d'application distinct :
L'article 1171 du Code civil, de droit commun limite la "chasse" au déséquilibre significatif" aux "contrats d'adhésion" et hors clause relative à "l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation" donc aux clauses "marginales", en tant qu'elle ne concernent pas l'essentiel du contrat, l'objet et le prix, avec pour sanction la clause réputée non écrite.
L'article L. 212-1 C. consom. limité aux contrats entre professionnel et consommateurs et, idem, limité aux clauses "marginales" et même sanction.
L'article L.442-6, I, 2° C. com., pour les relations entre commerçants, mais sans limite, en tout cas posée dans le texte, sanction responsabilité (délictuelle, contractuelle?) et surtout punitive damages et amende civile par le jeu de l'article L. 442-6, III, dit "action du ministre (comp. D. Mainguy et M. Depincé, Droit de la concurrence, LexisNexis, 2ème éd. 2014, autopromo...)
D'où la question, peut-on contrôler le déséquilibre significatif, en tant qu'il porte sur l'objet du contrat ou l'adéquation entre le prix et la prestation, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2°?
La question paraît ubuesque au premier abord dans la mesure où une réponse positive implique que l'on fasse entrer dans le champ du contrôle judiciaire la lésion, au sens premier du terme, l'inadéquation entre un prix et la contreprestation de ce prix.
Dans le même temps, comme le font remarquer Didier et Nicolas Ferrier (Droit de la distribution, LexisNexis, 6è éd. 2015) un tel contrôle correspond à "l'effet utile" de ce texte.
En effet l'article L. 442-6 tout entier a été fait pour assurer un contrôle, civil, des relations nouées entre d'une part les centrales de référencement, et d'autre part leurs fournisseurs, relations déjà passablement alourdies par l'ensemble des exigences posées aux articles L. 441-1 et suivants du Code de commerce. or, ces exigences visent principalement la question du "prix" identifié comme un ensemble de réductions de prix consenties, selon divers facteurs et techniques, par les seconds aux premiers, et constatées dans un ensemble de documents, conditions générales de vente, conditions particulières de vente, convention écrite de l'article L. 441-7 etc., dans le but d'une part d'assurer une certaine transparence de la négociation entre les prix et, surtout peut-être, un contrôle des résultats de cette négociation, notamment sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Les faits de l'espèce correspondent en tous points à cette focale de l'application du texte, à savoir un contrôle lancé par la DGCCRF sur les contrats conclus entre le Galec (Leclerc) et une cinquantaine de ses fournisseurs, pour abouti à une répétition de l'indu de 61,3 millions d'euros et une amende civil de 2 millions d'euros (reversés au Trésor Public) à propos d'une clause prévoyant le versement de ristournes de fin d’année "soit en contrepartie de la constatation d’un courant d’affaire non chiffré, soit en contrepartie de la constatation d’un chiffre d’affaires limité par rapport au chiffre d’affaires de l’année précédente et sans commune mesure avec le chiffre d’affaires prévisionnel, ou soit sans aucune contrepartie" et une clause prévoyant "le versement d’acompte mensuel prévisionnel de ristournes avant le paiement de marchandises et alors même que l’engagement du distributeur ne serait effectif qu’à la fin de l’année", l'ensemble alors que la centrale Galec n'avait pas indiqué que des clauses ou des obligations particulières pouvaient justifier un (ré)équilibre.
La Cour d'appel de paris avait rendu un arrêt le 1er juillet 2015, à la surprise générale et tout le monde attendait impatiemment le résultat du pouvoir formé par le Galec.
On aurait pu s'attendre à un arrêt assez sibyllin, soit pour rejeter le pouvoir et ce faisant valider la condamnation, mais sans s'étendre sur l'interprétation de l'article L. 442-6, I, 2°, soit à une cassation de manière à ne pas provoque les remous qui ne vont pas manquer. C'était sans compter sans les avocats du Galec qui ont présenté un pourvoi aux moyens particulièrement musclés...
En effet l'enjeu est de taille : si les règles des articles L. 441-1 et suivants, notamment les articles L. 441-6 et 7, assurent le "principe" de la libre négociabilité des conditions de vente, quand bien même elle serait strictement encadrée notamment par la formalisation de cette négociation par un accord dans les conditions de l'article L. 441-7, et si la limite de cette libre négociabilité se heurte à la liste de l'article L. 442-6, I? et notamment ses 1° et 2°, faut-il en déduire que cette limite doit s'entendre strictement, c'est-à-dire, hors appréciation de l'objet du contrat et de l'adéquation du prix à la contreprestation, ou de manière large en prenant en compte ces éléments?
Enjeux sous-jacent : peut-on assurer le contrôle de la contreprestation, donc de l'équilibre du contrat, de ses clauses, dans ses clauses, y compris le défaut d'équivalence des prestation, donc la lésion?
Rappelons en effet que l'article 1168 du Code civil (nouveau) dispose que "Dans les contrats synallagmatiques, le défaut d'équivalence des prestations n'est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n'en dispose autrement". La loi, commerciale, par le jeu de l'article L. 442-6, I, 2° (et incidemment 1°) C. com. en dispose-t-elle autrement, C'était tout l'enjeu de l'interprétation promise par la Cour de cassation.
le moins qu'on puisse en dire c'est que la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui n'a pas décidé au hasard, vu le très motivé arrêt, et le fait qu'elle ait été présidée par le Président Louvel lui-même, a mis les pieds dans le plat...
En effet, elle propose une interprétation large de l'article L. 442-6, I, 2° : oui, le contrôle de l'adéquation du prix à la contreprestation est possible.
L'arrêt se prononce en 4 temps.
1er temps, 1er moyen :
Le fait qu'une ristourne soit prévue dans un accord conclu dans les conditions de l'article L. 441-7 permet-il de considérer qu'elle est visée par le contrôle de l'article L. 442-6, I, 2° ? Ce texte doit-il s'interpréter, comme l'article L. 212-1 C. consom. (clauses marginales seulement) ou de manière autonome ? dès lors un contrôle du prix est-il possible sur ce fondement ?
"dans les rapports noués entre un fournisseur et un distributeur, le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties s’apprécie au regard de la convention écrite prévue par l’article L. 441-7 du code de commerce, laquelle précise les obligations auxquelles se sont engagées les parties et fixe, notamment, les conditions de l’opération de vente des produits ou des prestations de services, comprenant les réductions de prix, telles qu’elles résultent de la négociation commerciale qui s’opère dans le respect de l’article L. 441-6 de ce code ; qu’ayant constaté que l’annexe 2 des contrats-cadres stipulait que la ristourne litigieuse était prévue au titre des conditions de l’opération de vente, la cour d’appel en a justement déduit que les clauses litigieuses relevaient de l’article L. 442-6, I, 2° du même code ;
Et attendu, en deuxième lieu, que la similitude des notions de déséquilibre significatif prévues aux articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation et L. 442-6, I, 2° du code de commerce, relevée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, n’exclut pas qu’il puisse exister entre elles des différences de régime tenant aux objectifs poursuivis par le législateur dans chacun de ces domaines, en particulier quant à la catégorie des personnes qu’il a entendu protéger et à la nature des contrats concernés ; qu’ainsi, l’article L. 442-6, I, 2° précité, qui figure dans le Livre quatrième du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et au Chapitre II du Titre IV, dédié aux pratiques restrictives de concurrence, n’exclut pas, contrairement à l’article L. 212-1 du code de la consommation, que le déséquilibre significatif puisse résulter d’une inadéquation du prix au bien vendu ;
qu’en outre, la cour d’appel a exactement retenu que la loi du 4 août 2008, en exigeant une convention écrite qui indique le barème de prix tel qu’il a été préalablement communiqué par le fournisseur, avec ses conditions générales de vente, a entendu permettre une comparaison entre le prix arrêté par les parties et le tarif initialement proposé par le fournisseur ; qu’il suit de là que l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties"
2ème temps, 2ème moyen Si la réponse est positive, le principe de libre négociabilité n'est-il pas limité à la sitaution d'obligations réciproques, alors que le "prix" a nécessairement une obligation réciproque, même non spécifiquement identifiée ? par ailleurs pour assurer une comparaison, ne faudrait-il pas que le juge identifie un "jute" prix" à comparer au prix convenu (piège magnifique, dans lequel ne tombe pas la Cour):
Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt rappelle que la loi du 4 août 2008, qui a posé le principe de la libre négociabilité des conditions de vente, et notamment des tarifs, a maintenu le principe selon lequel les conditions générales de vente constituent le socle de la négociation commerciale ; qu’il relève que la libre négociabilité tarifaire se traduit notamment, pour le fournisseur, par la possibilité, prévue à l’article L. 441-6 du code de commerce, de convenir avec le distributeur de conditions particulières de vente, mais que les obligations auxquelles les parties s’engagent en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale doivent néanmoins être formalisées dans une convention écrite ; qu’il en déduit que la formalisation des engagements des parties dans un document unique doit permettre à l’administration d’exercer un contrôle a posteriori sur la négociation commerciale et sur les engagements pris par les cocontractants ; que de ces énonciations et appréciations, la cour d’appel a déduit à bon droit que le principe de la libre négociabilité n’est pas sans limite et que l’absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants, même lorsque ces obligations n’entrent pas dans la catégorie des services de coopération commerciale, peut être sanctionnée au titre de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dès lors qu’elle procède d’une soumission ou tentative de soumission et conduit à un déséquilibre significatif ;
Attendu, en deuxième lieu, que l’arrêt relève que les clauses relatives à la RFA, insérées dans les cent dix-huit contrats-cadres examinés, prévoyaient le paiement de cette ristourne, soit en contrepartie de la constatation d’un chiffre d’affaires non chiffré ou d’un chiffre d’affaires inférieur de près de moitié à celui réalisé l’année précédente et l’année durant laquelle la RFA était due, soit sans aucune contrepartie et retient que les fournisseurs ont versé une RFA alors que le distributeur n’avait pris aucune obligation ou aucune réelle obligation à leur égard ; qu’il relève encore que les acomptes dus au titre de la RFA étaient calculés sur un chiffre d’affaires prévisionnel, proche de celui effectivement réalisé et très supérieur au montant du chiffre d’affaires sur lequel le Galec s’était engagé envers le fournisseur pour obtenir la réduction du prix et ajoute que l’article V du contrat-cadre permettait au distributeur d’obtenir le paiement des acomptes avant que le prix des marchandises ait été réglé et de bénéficier ainsi d’une avance de trésorerie aux frais du fournisseur ; qu’il relève enfin que le Galec n’allègue pas que d’autres stipulations contractuelles permettaient de rééquilibrer la convention ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu retenir que les clauses litigieuses créaient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, au sens de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
Et attendu, en dernier lieu, qu’ayant fait ressortir, par les motifs précités, que le déséquilibre significatif reproché au Galec ne résultait pas du niveau des prix consentis mais du mécanisme de mise en oeuvre d’une ristourne de fin d’année, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la troisième branche, que ses appréciations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ;
3ème temps, 3ème moyen : mais peut-on établir une "soumission" ou une "tentative de soumission" ?
Mais attendu qu’après avoir rappelé que la loi du 4 août 2008 a posé le principe de la libre négociabilité des conditions de vente, tout en maintenant le principe selon lequel les conditions générales de vente constituent le socle de la négociation commerciale, l’arrêt constate que la ristourne litigieuse ne figure pas dans les conditions générales de vente des fournisseurs et qu’elle est prévue dans l’annexe 2 des contrats-cadres pré-rédigés par le Galec, en 2009 et 2010 ; qu’il relève que les cent dix-huit contrats-cadres et leurs annexes ont été paraphés et signés par tous les fournisseurs, et ce, alors même qu’existait une contradiction entre l’article V des contrats-cadres et l’annexe 2, concernant les délais de paiement de cette ristourne ; qu’il retient que la différence de taux de ristourne entre fournisseurs n’est pas la preuve d’une négociation, dès lors que les différents taux figurent dans l’annexe 2 pré-rédigée par le Galec, lequel n’offre pas de démontrer que des négociations avec les fournisseurs auraient eu lieu sur ce point ; qu’il en déduit que la ristourne a été imposée aux fournisseurs concernés par ces cent dix-huit contrats, qui ont dû signer les contrats-cadres sans pouvoir les modifier ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir que les clauses litigieuses pré-rédigées par le Galec constituaient une composante intangible de tous les contrats examinés et n’avaient pu faire l’objet d’aucune négociation effective, la cour d’appel, qui n’a pas inversé la charge de la preuve, a caractérisé la soumission requise par l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ; que le moyen n’est pas fondé ;
4ème temps, 4ème moyen : est-ce bien au Trésor public de récupérer ces sommes ?
Mais attendu que le ministre chargé de l’économie a été habilité par le législateur à demander à la juridiction saisie, sur le fondement de l’article L. 442-6, III du code de commerce, la répétition de l’indu dans le cadre d’une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence, à charge pour lui d’informer les parties au contrat de l’introduction de son action ; qu’ayant constaté que le ministre avait procédé à cette information et que la restitution des sommes indûment perçues au titre de la RFA s’opérerait entre les mains du Trésor public à charge pour ce dernier de les restituer aux fournisseurs visés dans une liste annexée, la cour d’appel a fait l’exacte application de l’article L. 442-6, III du code de commerce ; que le moyen n’est pas fondé ;
Du point de vue de l'interprétation de l'article L. 442-6, I, 2° C. com., c'est un arrêt exceptionnel, tant sur la forme que sur le fond. A bien des égards, c'est un arrêt majeur. Il l'est pour la mise en oeuvre de ce texte ; il l'est également pour la compréhension des contrats d'affaires.
C'est que, en effet, l'article L. 442-6 ne se limite pas, textuellement, aux seuls contrats noués entre fournisseurs et centrale de référencement, mais, a priori, a tous les contrats ("relations") entre commerçants, tous, y compris les contrats internationaux soumis au droit français.
On mesure alors sa portée, qui demeure sans doute à établir, de l'arrêt : tous les contrats d'affaires peuvent, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2°, s'attendre à ce que des explications judiciaires soient demandées sur l'adéquation entre le prix et la contreprestation du prix dans n'importe quel type de contrat (d'affaires, mais ce sont ces contrats qui forment le support de presque toutes les avancées jurisprudentielles du droit des contrats). Et donc, en termes de portée, est-ce un arrêt de droit de la concurrence ou un arrêt de droit des contrats?
D'où les inquiétudes et les critiques à venir : n'est-ce pas un peu trop, que de faire entrer, ainsi la lésion, dans ce qu'elle a de plus formidable pour imposer l'équilibre dans les contrats, mais en même temps de plus utopique, voir de plus inquiétant pour des contrats conclus, en principe, entre commerçants, disposant de leur libre arbitre, de conseils, etc.?
On peut hésiter entre deux positions : la première consiste à se révolter contre cette position, quitte d'ailleurs à minorer la portée de l'arrêt (question limitée au droit de la concurrence, sans portée réelle en droit des contrats), alors que les règles du droit (nouveau) des contrats ignorent voire rejettent le contrôle de la lésion dans les contrats. On entend déjà les propos en la matière : c'est l'accord de volonté qui forme le prix, sauf exception (cf. C. civ., art. 1168) dans la ligne, globale du principe de autonomie de la volonté et en considérant que le "juste" prix n'existe pas mais qu'il est le prix voulu, du fait de l'expression, valide, du consentement par les parties. S'ajoutera sans doute l'idée que le droit français pourrait alors se présenter comme un épouvantail, favorisant l'évasion des centres de décision des opérateurs économiques vers l'étranger.
On peut au contraire se réjouir que la jurisprudence ose, par une portée dérobée du point de vue de l'application des règles du droit des contrats récemment réformé par l'ordonnance de 2016 (et dans laquelle la lésion disparaît du chant lexical légal), proposer un outil permettant de contrôler, dans des situations finalement marginales (les faits de l'espèce sont, de ce point de vue, exceptionnels), l'adéquation du prix à la contreprestation du prix, dans des situations manifestement injustes, violentes, etc.
D. Mainguy
Cass. com. 25 janvier 2017
N° de pourvoi: 15-23547
M. Louvel (premier président), président
LA COUR (…)
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 2015), que le ministre chargé de l’économie, reprochant à la société Galec-groupement d’achats des centres Leclerc (le Galec) d’avoir soumis des fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif à raison de certaines clauses du contrat-cadre ayant régi leurs relations en 2009 et 2010, relatives au versement d’une ristourne de fin d’année (la RFA) au bénéfice du distributeur, l’a assignée en annulation de ces clauses, répétition de l’indu et paiement d’une amende civile sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° et III du code de commerce ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le Galec fait grief à l’arrêt de retenir un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, de prononcer l’annulation des clauses prévoyant ces obligations dans les accords GALEC conclus en 2009 et 2010 avec les quarante-six fournisseurs visés dans la liste jointe à l’arrêt, de le condamner à restituer les sommes perçues à ce titre et de prononcer à son encontre une amende civile alors, selon le moyen :
1°/ que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ne sanctionnent que le fait de soumettre un partenaire commercial à une « obligation » créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que le simple fait d’obtenir une réduction de prix de la part de son cocontractant ne soumet ce dernier à aucune « obligation » au sens de ces dispositions ; qu’en considérant, pour condamner le Galec, que la RFA Galec, qui constitue une simple réduction du prix fournisseur, caractérisait une telle « obligation », la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
2°/ qu’il résulte de la décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011 du Conseil constitutionnel que l’incrimination prévue à l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce n’est conforme au principe de légalité des délits et des peines que dans la mesure où la notion de « déséquilibre significatif » renvoie à la notion, suffisamment définie par la jurisprudence, qui figure à l’article L. 132-1 du code de la consommation ; qu’en vertu de cet article, l’appréciation du « déséquilibre significatif » ne peut pas porter sur l’adéquation du prix au bien vendu ; qu’ainsi, le « déséquilibre significatif » au sens de l’article précité du code de commerce ne peut jamais résulter de l’inadéquation du prix au bien vendu ; qu’en jugeant pourtant que la loi avait entendu permettre un contrôle par l’administration du prix négocié par comparaison avec le tarif fournisseur, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
3°/ que, si l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce devait être interprété comme permettant de sanctionner le fait d’obtenir une simple réduction de prix, l’article L. 442-6, I, 4° du code de commerce, en ce qu’il sanctionne le fait d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, serait privé de tout effet utile ; qu’il en résulte nécessairement que le législateur n’a pas entendu permettre un contrôle par l’administration du prix négocié par comparaison avec le tarif fournisseur ; qu’en retenant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que, dans les rapports noués entre un fournisseur et un distributeur, le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties s’apprécie au regard de la convention écrite prévue par l’article L. 441-7 du code de commerce, laquelle précise les obligations auxquelles se sont engagées les parties et fixe, notamment, les conditions de l’opération de vente des produits ou des prestations de services, comprenant les réductions de prix, telles qu’elles résultent de la négociation commerciale qui s’opère dans le respect de l’article L. 441-6 de ce code ; qu’ayant constaté que l’annexe 2 des contrats-cadres stipulait que la ristourne litigieuse était prévue au titre des conditions de l’opération de vente, la cour d’appel en a justement déduit que les clauses litigieuses relevaient de l’article L. 442-6, I, 2° du même code ;
Et attendu, en deuxième lieu, que la similitude des notions de déséquilibre significatif prévues aux articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation et L. 442-6, I, 2° du code de commerce, relevée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, n’exclut pas qu’il puisse exister entre elles des différences de régime tenant aux objectifs poursuivis par le législateur dans chacun de ces domaines, en particulier quant à la catégorie des personnes qu’il a entendu protéger et à la nature des contrats concernés ; qu’ainsi, l’article L. 442-6, I, 2° précité, qui figure dans le Livre quatrième du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et au Chapitre II du Titre IV, dédié aux pratiques restrictives de concurrence, n’exclut pas, contrairement à l’article L. 212-1 du code de la consommation, que le déséquilibre significatif puisse résulter d’une inadéquation du prix au bien vendu ; qu’en outre, la cour d’appel a exactement retenu que la loi du 4 août 2008, en exigeant une convention écrite qui indique le barème de prix tel qu’il a été préalablement communiqué par le fournisseur, avec ses conditions générales de vente, a entendu permettre une comparaison entre le prix arrêté par les parties et le tarif initialement proposé par le fournisseur ; qu’il suit de là que l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que le Galec fait le même grief à l’arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que la loi LME du 4 août 2008 a instauré le principe de libre négociabilité des tarifs et supprimé l’obligation de justifier toute réduction du prix fournisseur par une contrepartie ; que si l’article L. 441-7 du code de commerce dispose que la convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur indique les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale et qu’elle fixe, notamment, les conditions de l’opération de vente, y compris les réductions de prix, il n’en résulte pas pour autant que toute réduction de prix ne puisse intervenir qu’en contrepartie d’une obligation consentie par l’acheteur ; qu’en relevant pourtant, pour juger que la RFA Galec créait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties aux contrats-cadres, que la loi LME n’avait pas supprimé la nécessité de contrepartie, que la réduction du prix accordée par le fournisseur devait avoir pour cause l’obligation prise par le distributeur à l’égard du fournisseur et qu’en l’espèce, la RFA Galec n’était compensée par aucune obligation réelle, la cour d’appel a violé les articles L. 441-6, L. 441-7 et L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
2°/ qu’en tout état de cause, à supposer que les dispositions de l’article L. 441-7 du code de commerce impliquent l’exigence d’une contrepartie à toute réduction du prix « fournisseur », l’éventuelle méconnaissance de cette exigence ne conduit pas nécessairement à un « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » au sens de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ; qu’en se bornant à relever, pour juger que la RFA Galec créait un tel déséquilibre, que cette remise était dépourvue de contrepartie réelle et méconnaissait donc les dispositions de l’article L. 441-7 du code de commerce, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 441-7 et L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
3°/ que la caractérisation de l’infraction prévue à l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce suppose, tout d’abord, que le juge ait mis en balance les droits et obligations des parties au contrat, en les appréciant de manière concrète, que l’obligation imposée au cocontractant ait créé un « déséquilibre » dans ces droits et obligations et, enfin, que ce déséquilibre soit « significatif » ; qu’à supposer que le juge puisse, sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, contrôler l’adéquation du prix au produit vendu, il lui appartiendrait alors d’évaluer le juste prix du produit et de rechercher si le tarif obtenu à la suite de la réduction du prix s’écarte significativement de ce juste prix ; qu’en l’espèce, la cour d’appel n’a procédé à aucun examen, même sommaire, des produits en cause ou des différents taux de remises consentis ; qu’en se bornant à relever que la RFA Galec créait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, sans rechercher si les tarifs obtenus à la suite de la réduction du prix s’écartaient significativement du juste prix des produits, elle a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt rappelle que la loi du 4 août 2008, qui a posé le principe de la libre négociabilité des conditions de vente, et notamment des tarifs, a maintenu le principe selon lequel les conditions générales de vente constituent le socle de la négociation commerciale ; qu’il relève que la libre négociabilité tarifaire se traduit notamment, pour le fournisseur, par la possibilité, prévue à l’article L. 441-6 du code de commerce, de convenir avec le distributeur de conditions particulières de vente, mais que les obligations auxquelles les parties s’engagent en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale doivent néanmoins être formalisées dans une convention écrite ; qu’il en déduit que la formalisation des engagements des parties dans un document unique doit permettre à l’administration d’exercer un contrôle a posteriori sur la négociation commerciale et sur les engagements pris par les cocontractants ; que de ces énonciations et appréciations, la cour d’appel a déduit à bon droit que le principe de la libre négociabilité n’est pas sans limite et que l’absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants, même lorsque ces obligations n’entrent pas dans la catégorie des services de coopération commerciale, peut être sanctionnée au titre de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dès lors qu’elle procède d’une soumission ou tentative de soumission et conduit à un déséquilibre significatif ;
Attendu, en deuxième lieu, que l’arrêt relève que les clauses relatives à la RFA, insérées dans les cent dix-huit contrats-cadres examinés, prévoyaient le paiement de cette ristourne, soit en contrepartie de la constatation d’un chiffre d’affaires non chiffré ou d’un chiffre d’affaires inférieur de près de moitié à celui réalisé l’année précédente et l’année durant laquelle la RFA était due, soit sans aucune contrepartie et retient que les fournisseurs ont versé une RFA alors que le distributeur n’avait pris aucune obligation ou aucune réelle obligation à leur égard ; qu’il relève encore que les acomptes dus au titre de la RFA étaient calculés sur un chiffre d’affaires prévisionnel, proche de celui effectivement réalisé et très supérieur au montant du chiffre d’affaires sur lequel le Galec s’était engagé envers le fournisseur pour obtenir la réduction du prix et ajoute que l’article V du contrat-cadre permettait au distributeur d’obtenir le paiement des acomptes avant que le prix des marchandises ait été réglé et de bénéficier ainsi d’une avance de trésorerie aux frais du fournisseur ; qu’il relève enfin que le Galec n’allègue pas que d’autres stipulations contractuelles permettaient de rééquilibrer la convention ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu retenir que les clauses litigieuses créaient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, au sens de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
Et attendu, en dernier lieu, qu’ayant fait ressortir, par les motifs précités, que le déséquilibre significatif reproché au Galec ne résultait pas du niveau des prix consentis mais du mécanisme de mise en oeuvre d’une ristourne de fin d’année, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la troisième branche, que ses appréciations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que le Galec fait le même grief à l’arrêt alors, selon le moyen :
1°/ qu’il appartient au ministre chargé de l’économie, agissant sur le fondement de l’article L. 442-6, III du code de commerce de prouver l’existence de la pratique restrictive de concurrence qu’il invoque ; que, pour établir l’existence d’une soumission au sens de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, la cour d’appel a relevé que la différence de taux de ristourne appliqué aux fournisseurs n’était pas la preuve d’une négociation et que le Galec n’offrait pas de démontrer l’existence de négociations ayant existé avec ses fournisseurs ; qu’en statuant ainsi, elle a inversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du code civil ;
2°/ que la preuve d’une soumission au sens de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ne peut résulter que d’éléments démontrant que le distributeur a exercé des pressions auxquelles les fournisseurs ne pouvaient résister ; qu’en se bornant à relever, pour considérer que l’existence d’une soumission était établie, que l’annexe 2 des contrats-cadres avait été pré-rédigée par le Galec puis signée par le fournisseurs sans modification, qu’il existait une contradiction entre cet annexe et l’article V des contrats-cadres quant au délai de paiement de la RFA et que le procès-verbal du 30 avril 2009 laissait penser que le Galec avait cherché à préserver ses marges malgré les nouvelles dispositions de la loi LME, la cour d’appel, qui a statué par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
Mais attendu qu’après avoir rappelé que la loi du 4 août 2008 a posé le principe de la libre négociabilité des conditions de vente, tout en maintenant le principe selon lequel les conditions générales de vente constituent le socle de la négociation commerciale, l’arrêt constate que la ristourne litigieuse ne figure pas dans les conditions générales de vente des fournisseurs et qu’elle est prévue dans l’annexe 2 des contrats-cadres pré-rédigés par le Galec, en 2009 et 2010 ; qu’il relève que les cent dix-huit contrats-cadres et leurs annexes ont été paraphés et signés par tous les fournisseurs, et ce, alors même qu’existait une contradiction entre l’article V des contrats-cadres et l’annexe 2, concernant les délais de paiement de cette ristourne ; qu’il retient que la différence de taux de ristourne entre fournisseurs n’est pas la preuve d’une négociation, dès lors que les différents taux figurent dans l’annexe 2 pré-rédigée par le Galec, lequel n’offre pas de démontrer que des négociations avec les fournisseurs auraient eu lieu sur ce point ; qu’il en déduit que la ristourne a été imposée aux fournisseurs concernés par ces cent dix-huit contrats, qui ont dû signer les contrats-cadres sans pouvoir les modifier ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir que les clauses litigieuses pré-rédigées par le Galec constituaient une composante intangible de tous les contrats examinés et n’avaient pu faire l’objet d’aucune négociation effective, la cour d’appel, qui n’a pas inversé la charge de la preuve, a caractérisé la soumission requise par l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que le Galec fait grief à l’arrêt de le condamner à verser au Trésor public la somme de 61 288 677,84 euros correspondant aux sommes ayant été perçues au titre de la RFA, à charge pour le Trésor public de les restituer aux fournisseurs visés dans la liste jointe à l’arrêt, alors, selon le moyen, que la partie qui a indûment perçu des sommes de son cocontractant ne peut être condamnée qu’à restituer ces sommes au cocontractant lui-même ; qu’aucune disposition législative ne permet au juge de condamner cette partie à verser au Trésor public des sommes indûment perçues, quand bien même ce dernier serait chargé de restituer les sommes au cocontractant ; qu’en condamnant le Galec à verser au Trésor public des sommes perçues au titre de la RFA Galec, à charge pour celui-ci de les restituer aux fournisseurs visés dans la liste jointe à l’arrêt, la cour d’appel a violé l’article L. 442-6, III du code de commerce ;
Mais attendu que le ministre chargé de l’économie a été habilité par le législateur à demander à la juridiction saisie, sur le fondement de l’article L. 442-6, III du code de commerce, la répétition de l’indu dans le cadre d’une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence, à charge pour lui d’informer les parties au contrat de l’introduction de son action ; qu’ayant constaté que le ministre avait procédé à cette information et que la restitution des sommes indûment perçues au titre de la RFA s’opérerait entre les mains du Trésor public à charge pour ce dernier de les restituer aux fournisseurs visés dans une liste annexée, la cour d’appel a fait l’exacte application de l’article L. 442-6, III du code de commerce ; que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Galec-groupement d’achats des centres Leclerc aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer au ministre chargé de l’économie la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille dix-sept.