L'arrêt, ici rapporté provoque, depuis quelques jours, un certain nombre de réactions variées.
Je songe à celle de mon ami (et collègue) Bruno Dondero et comme lui à un commentaire sur le blog "les carnets juridiques d'Homère, sur les blogs de L'Express et intitulé, Quand la Cour de cassation bouscule la réforme du droit des contrats.
C'est très vraisemblablement ce titre qui a un peu affolé la blogosphère, qui est tout à la fois exagéré et juste.
Il est un peu exagéré si l'on y regarde de près : il concerne en effet soit l'effet légal d'une norme nouvelle applicable à une situation juridique antérieure (et comp. C. civ., art.1341-3 nouveau), soit la question de l'effet immédiat d'une norme juridique nouvelle d'ordre public. De sorte que l'arrêt n'est ni nouveau ni révolutionnaire, mais en même temps, on ne peut pas manquer de s'interroger sur la portée d'un tel arrêt, en période de doute dans l'application, dans le temps, de la réforme (V. aussi B. Mercadal, Réforme du droit des contrats : quels effets sur les contrats antérieurs ? BRDA 4/17, n°22, précisément à propos de cet arrêt).
L'arrêt du 9 février 2017 ci-dessous reproduit se prononce sur un cas intéressant les règles relatives aux baux commerciaux, domaine très classique en la matière, et rappelle que, bien entendu, la Cour de cassation est libre de l'appréciation du caractère d'ordre public de la disposition et donc de son application immédiate, notamment lorsqu'il s'agit d'un effet légal ou d'une norme nouvelle d'ordre public, en l'espèce la durée minimale de neuf ans du bail en cause contre la possibilité de résilier tous les trois ans dans un bail commercial ordinaire.
La question de l'effet immédiat des normes nouvelles à un contrat en cours, c'est-à-dire conclu avant l'entrée en vigueur de cette norme, n'est pas nouvelle.
Rappelons que l'article 2 du Code civil est le seul texte légal général intéressant l'effet dans le temps des lois nouvelles : "la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif". L'ensemble a fait l'objet d'une étude majeure, de Paul Roubier, avec une édition renouvelée en 1960 et qui continue, malgré tout une série de critiques, de faire autorité.
Quelques remarques :
1) le caractère non rétroactif de la loi nouvelle (qui n'a pas de valeur constitutionnelle) ne signifie pas que la loi ne s'applique pas immédiatement. Deux personnes se marient en 1970, période où le seul divorce possible est le divorce pour faute, ils se séparent en 1980, après la loi de 1975 ouvrant des causes nouvelles de divorce, celui des deux époux qui ne souhaite pas divorcer ne peut peut invoquer le fait qu'il s'est marier dans un environnement ne connaissant pas ces formes nouvelles de divorce. La "sécurité juridique" de son mariage cède devant le "progrès" représenté par la loi nouvelle, figuré par l'institution du caractère d'ordre public" de la norme nouvelle.
2) L Quel est le sens du terme "loi" nouvelle de l'article 2 du Code civil? on raisonne comme s'il s'agissait de la "loi" au sens formel, alors qu'on peut raisonner sur les "normes juridiques", lesquelles sont soit de source légale soit de source jurisprudentielle. Or, le débat autour de l'effet dans le temps des normes jurisprudentielles oscille entre une conception majoritaire qui y voit un effet rétroactif et une conception minoritaire qui considère que la norme jurisprudentielle nouvelle est simplement d'effet immédiat. L'exemple type est celui des clauses de non concurrence.
Aucune norme légale (ou presque) ne régit les conditions de validité des clauses de non concurrence et la jurisprudence à forgé des règles de validité de ces clauses. De validité : l'arrêt, fameux, de 2002 imposant que ces clauses soient rémunérées, à peine de nullité, s'est imposé immédiatement, y compris à des clauses de non-concurrence conclues antérieurement à cet arrêt. Soit il s'agit d'un effet rétroactif, ce qui est assez grave, on pourrait même faire rejuger des situations acquises antérieurement, soit il s'agit d'une application immédiate de la norme jurisprudentielle nouvelle. Notons que cette norme est a) jurisprudentielle, b) de nature à contrôler la validité d'une convention, c) d'ordre public, d) applicable à des situations juridiques nées antérieurement. Par conséquent, il n'est pas vrai d'affirmer qu'une norme juridique nouvelle d'ordre public intéressant les conditions de validité d'une situation juridique ne peut pas s'appliquer à des situations antérieures. Cet effet immédiat est systématique pour les normes juridiques de source jurisprudentielle.
D'où le débat soulevé à propos de l'effet dans le temps de la réforme des règles du droit des contrats, issue de l'ordonnance du 10 février 2016, entrée en vigueur, a priori uniquement pour les contrats conclus après cette date.
Toutefois, la radicalité de la formule de l'article 9 de l'ordonnance de 2016 "oublie" d'une part, l'action de la jurisprudence et d'autre part la nature de la norme juridique, notamment lorsqu'il s'agit d'une norme juridique d'ordre public (Comp. Pour l'entrée en vigueur immédiate de la réforme du droit des contrats).
Je voudrais, très rapidement, répondre à l'argument selon lequel cet arrêt serait ou non "inquiétant". et (ré)apporter quelques pierres au moulin de l'application immédiate de la réforme, en quelques points.
1) L'article 9 de l'ordonnance de 2016 ne fait que reprendre la formule de l'article 2 du Code civil. Autant dire que ce n'est pas particulièrement clair et donc que le sens de cette formule appartient à la Cour de cassation.
2) L'article 9, al. 2 "les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne" ne nous apprend rien sur ce qui peut être la signification du terme "loi ancienne".
3) Les différents sens possibles sont :
Proposition n°1) l’article 9, al. 2 signifie que le droit des contrats nouveau ne s’appliquera en aucune manière aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, puisque la règle de survie de la loi ancienne est ici posée , sauf les exceptions expresses de la loi (dont les trois textes visés par l'article 9).
Proposition n°2) l’article 9, al. 2 ne définit pas ce qu’est la « loi ancienne » ou la « loi nouvelle » de sorte qu’on pourrait considérer que la loi ancienne s’entend des règles non modifiées par des règles d’ordre public touchant à l’exécution du contrat
Proposition n°3) l’article 9, al. 2 ne définit pas ce qu’est la « loi ancienne » ou la « loi nouvelle » de sorte qu’on pourrait considérer que la loi ancienne s’entend des règles non modifiées par des règles d’ordre public touchant à l’exécution et la formation et la validité du contrat.
Observons que cette proposition est de nature à associer l'effet dans le temps des normes juridiques nouvelles de source légale et de source jurisprudentielle.
Proposition n°4) l’article 9, al. 2 ne définit pas ce qu’est la « loi ancienne » ou la « loi nouvelle » de sorte qu’on pourrait considérer qu’elle est constituée de toutes les règles non modifiées par la loi nouvelle, quelle que soit leur nature.
Quels sont les arguments en jeu?
Le "principe de survie de la loi ancienne" n'est pas une "norme juridique" : elle n'est pas dans l'article 2 ou dans un autre texte légal, ce n'est pas une règle constitutionnelle (pas plus que la non rétroactivité des normes) et elle n'est pas consacrée de manière ferme par la jurisprudence.
C'est une simple proposition doctrinale, largement reprise d'ailleurs, de Roubier, et comme toute proposition doctrinale critiquée par une autre partie de la doctrine.
Par ailleurs, la réforme du droit des contrats est une réforme globale : tous les universitaires, les avocats, les juges sont formés à une réforme...qu'ils n'appliquent pas. Les manuels les Codes sont tous révisés, mais non, il faudra attendre... qu'un cas (intéressant) se présente en jurisprudence sur la base d'un contrat conclu après le 1er octobre 2016; Autant dire qu'on n'aura pas d'arrêt de la Cour de cassation avant... 2020, 2025?
Dès lors il faut que les juges, avocats, universitaires se dédoublent et appliquent tantôt le droit ancien tantôt le droit nouveau ; jusqu'à quand? Faut-il garder les Codes d'avant 2015, les manuels de droit des contrats de 2015, isoler des juges pour qu'ils ne soient pas contaminés par la nouvelle façon de penser le droit des contrats..., et ce au nom d'un "principe" de sécurité juridique, dont nul n'a vérifié qu'il s'appliquait réellement aux situations en cause (la sécurité juridique des contractants est-elle meilleure avant ou après la réforme en matière de négociation, cession de contrat, imprévision, durée, rupture, etc.). Tout ceci n'a aucun sens.
Cela en a d'autant moins que le droit des contrats ne se résume pas à la loi (dans le Code) des contrats, mais à l'ensemble "loi interprétée par la jurisprudence".
Qu'est-ce qui interdirait à la Cour de cassation de rendre un arrêt sur le fondement de l'article 1131 du Code civil, pour un contrat antérieur à la réforme et qui déciderait "Vu l'article 1131 du Code civil, attendu que dans les contrats d'adhésion, les clauses qui créent, un déséquilibre significatifs, etc." ? Rien. Et c'est d'ailleurs commencé (Cass. com. 22 mars 2016, n°14-14218, s’agissant de la nullité relative d’un contrat conclu pour un prix dérisoire (Cf. C. civ., art. 1169) et ce mouvement ne cessera pas.
Le nouveau Code est meilleur que l'ancien, plus moderne, plus percutant, plus complet et il faudrait continuer avec un outil obsolète?
Non, vive l'application immédiate de la réforme du droit des contrats!
D. Mainguy
Bail commercial
Bail commercial
Demandeur : société Capimo 121, société par actions simplifiée
Défendeur : société MMV résidences, société par actions simplifiée
Sur le premier moyen :
Vu l’article L. 145-7-1 du code de commerce, issu de la loi du 22 juillet 2009, ensemble l’article 2 du code civil ;
Attendu que l’article L. 145-7-1 précité, d’ordre public, s’applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 10 novembre 2015), que, par actes séparés des 20 et 22 février 2007, la société Capimo 121 (la société Capimo) a donné à bail à la société Resid’Ever, aux droits de laquelle se trouve la société MMV résidences, deux appartements pour l’exploitation d’une résidence de tourisme ; que, le 26 décembre 2012, la société locataire a donné congé pour le 1er juillet 2013, à l’expiration de la deuxième période triennale ; que, le 20 septembre 2013, la société Capimo a assigné la société MMV résidences en nullité des congés ;
Attendu que, pour valider les congés, l’arrêt retient que les baux, conclus avant l’entrée en vigueur de l’article L. 145-7-1 du code de commerce, sont régis par les dispositions de l’article L. 145-4 du même code prévoyant une faculté de résiliation triennale pour le preneur, le bailleur disposant de la même faculté s’il entend invoquer les seules dispositions des articles L. 145-18, L. 145-21, L. 145-23-1 et L. 145-24 du même code et déduit que l’article L. 145-7-1 créé par la loi du 22 juillet 2009, qui exclut toute résiliation unilatérale en fin de période triennale pour l’exploitant d’une résidence de tourisme, n’est pas applicable au litige ;
Qu’en statuant ainsi, après avoir constaté que les baux étaient en cours au 25 juillet 2009, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 novembre 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Poitiers ;