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Une intéressante contribution, par notre collègue Louis Thibierge à la situation de contrats dans le contexte de la "guerre en Ukraine" et de l'application de règles particulières du droit des contrats face à une situation considérée ou bien comme en cas d'invocation de cette situation comme un cas de force majeure ou bien d'imprévision ou, plus exactement, de changement de circonstances économiques par une partie, alors que le contrat est en cours d'exécution ou bien, par anticipation, au moment de la rédaction du contrat, via une vidéo et un "point de vue" ("Guerre en Ukraine et contrats en cours : la prudence !", JCP 2022, 1101).

On peut ajouter l'inextricable situation de contractants, associés, financeurs, investisseurs, etc., face à l'ensemble des sanctions prononcées, ou bien de manière multilatérale, par exemple à travers les sanctions de l'UE reconduites jusqu'au 23 juin 2023 qui comprennent des sanctions à l'endroit de la Russie, des mesures individuelles, d'ailleurs évolutives, concernant un peu moins de 1500 personnes ou entités dont les avoirs sont gelés, des sanctions économiques indifférenciées (dont l'exclusion des principales banques russes du système SWIFT, l'interdiction de payer en billets de banques en euros, l'interdiction de tout financement public, etc.), mais qui peuvent être des mesures unilatérales, par exemple du Royaume-Uni ou des Etats-Unis (avec, en outre, une logique potentielle dite "d'extraterritorialité du droit américain" qui permet à différents autorités, dont le DoJ, d'attirer sur le territoire américain des actions conduites en dehors, y compris par des non-ressortissants américains, sur la base de critères par exemple tiré de l'application du FCPA impliquant un rattachement, assez flou, avec des intérêts américains).

C'est dire que les contrats conclus avec des entités "russes", le terme englobant de manière large cet ensemble, dans les secteurs financiers, de l'énergie, des transports, de la défense (y compris la catégorie assez souple des "biens à double usage" comme des moteurs, des éléments de télécommunications, des équipements électroniques, etc., Pour la France, l'arrêté du 3 décembre 2021 sur la liste des matériels de guerre et matériels assimilés ; pour les Etats-Unis, cf. la liste dite "EAR" (Export Administration Regulation) et "CCL" (Commerce Control List) ou encore des matières premières ou quelques secteurs comme celui du luxe (interdiction d'exportation), et enfin, à travers le 8ème "package", l'interdiction de fournir des conseils juridiques ou en matière informatique méritent une attention toute particulière.

Concrètement, dans ces secteurs, les contrats sont en situation de danger considérable, ainsi que les contrats liés, comme les contrats de transport, de maintenance, d'assurance ou de financement (comprenant d'ailleurs l'interdiction de recevoir des dépôts de ressortissants russes, mêmes non visés par les mesures individuelles, de plus de 100.000 € et on songe ici à des prestataires de services de l'UE, pas nécessairement bancaires (par exemple un avocat, une institution arbitrale, le paiement d'une consignation, etc.).

Sans reprendre ici l'excellente contribution de notre collègue Thibierge, on peut souligner quelques points d'audit rapides et indispensables, voire de révision de contrats conclus, si c'est possible, notamment pour des contrats en cours qui correspondraient des secteurs ou des personnes non touchées par ces sanctions.

1. En premier, bien entendu, vérifier que le contrat n'est pas visé, géographiquement, par quelque sanction adoptée par tel pays, ou substantiellement, parce que le contrat est associé, de manière directe ou indirecte (assurance, financement, conseils, assistance technique, etc., cf. Règlement UE 833/2014, articles 2 à 5) à l'un des secteurs visés par telle sanction émanant de telle entité, enfin personnellement, à l'endroit des parties au contrat, eu égard à la liste des restrictions individuelles en cours. La question est essentielle en raison de l'importance et de la portée des sanctions adoptées mais également, au-delà, en termes de réputation et des ses conséquences probables. 

2. En second, tout contrat touchant de près ou de loin à l'une de ces activités devrait, par prudence, comporter un certain nombre de clauses particulières :

- des clauses de force majeure ou assimilées, éventuellement à adapter ou réadapter au contexte,

- des clauses d'adaptation, dites aussi de hardship, visant à régler la prise en compte du changement de circonstances économiques que représentent ces événements (c'est-à-dire tout à la fois, de manière directe, les diverses sanctions adoptées ou à adopter, mais encore, de manière indirecte, le contexte même de la guerre en Ukraine, qui inclut un certain d'acteurs ou de pays non-russes et peut-être non affectés par ces sanctions (par exemple le cas de la Biélorussie, de la Tchétchénie, etc.).

- des "clauses éthiques", qui fleurissent dans les contrats, visant à tenir compte de situations de violation de règles environnementales, de corruption etc., et qui devraient sans doute désormais, tenir compte de comportements visés, directement ou indirectement, par ces sanctions, notamment dans des contrats conclus avec des partenaires dont l'autre partie ignore la réalité de ses activités, de manière à ne pas subir, par rétroaction, quelque reproche que ce soit. Ces clauses se présentent souvent comme des formes de déclarations, du type "les parties reconnaissent que [tel comportement est prohibé], s'interdisent [ces comportements] enjoignent l'autre partie de ne pas les commettre et d'interdire à tout représentant, salarié, dirigeant, sous-contractant, etc., d'y participer, voire invite à reproduire la clause dans les contrats les concernant.

Notons que l'article 11 du Règlement n° 833/2014, révisé en juillet 2022, institue un bouclier anti-réclamation" interdisant de faire droit à des demandes qui trouveraient leur origine dans une décision contractuelle (exemple suspension de contrat) prise afin de respecter les régimes de sanctions :

Règlement 833/2014, art. 11 :

1. Il n'est fait droit à aucune demande à l'occasion de tout contrat ou toute opération dont l'exécution a été affectée,
directement ou indirectement, en tout ou en partie, par les mesures instituées en vertu du présent règlement, y compris
à des demandes d'indemnisation ou à toute autre demande de ce type, telle qu'une demande de compensation ou une
demande à titre de garantie, notamment une demande visant à obtenir la prorogation ou le paiement d'une garantie ou
d'une contre-garantie, notamment financière, quelle qu'en soit la forme, présentée par:
a) les entités visées à l'article 5, point b) ou c) , ou figurant dans la liste de l'annexe III;
b) toute autre personne, entité ou organisme russe;
c) toute personne, toute entité ou tout organisme agissant par l'intermédiaire ou pour le compte de l'une des personnes
ou entités ou de l'un des organismes visés aux points a) ou b) du présent paragraphe.
2. Dans toute procédure visant à donner effet à une demande, la charge de la preuve que la satisfaction de la demande
n'est pas interdite par le paragraphe 1 incombe à la personne cherchant à donner effet à cette demande.
3. Le présent article s'applique sans préjudice du droit des personnes, entités et organismes visés au paragraphe 1 au
contrôle juridictionnel de la légalité du non-respect des obligations contractuelles conformément au présent règlement".

- enfin des clauses permettant de gérer ces situations, soit des clauses permettant de suspendre l'exécution de tel contrat en fonction de la survenance de l'un de ces cas, ou bien de résilier le contrat pour couper court à tout risque d'exposition, par retour, à un risque de sanction, ou bien permettant d'assurer une revendication sur des biens ou avoirs situés en dehors des zones touchées par les sanctions, en cas d'impossibilité - ou difficulté - d'être payé, de revendiquer un bien bloqué ou confisqué en Russie.

 

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