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Fin de la question du temps de travail des gendarmes et des militaires

L’arrêt de la CJUE du 15 juillet 2021(CJUE 15 juill. 2021, C-742/19, B.K. c/ Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo), D. 2021. 1432, et 1664, entretien C. Legras ; AJDA 2021. 1535, et 1679, chron. P. Bonneville, Europe 2021, comm. n° 349, obs. L. Driguez,Droit adm., 2021, comm. N° 39, obs. J.-Ch. Videlin, C. Gänser et A. Iljic ; D. actu. 20 juill. 2021, obs. M.-C. de Montecler ; S. Robin-OIlivier, « Le temps de travail des militaires en temps de paix », JCP 2021. 926, D. Mainguy, « La singularité des militaires, retour sur la question du temps de « travail » des militaires », D. 2021, Chr., p. 1996) a imposé l’application des dispositions de la directive n° 2003/88 du 4 novembre 2003 sur le temps de travail aux militaires.

Devant le Conseil d’Etat, un sous-officier de la gendarmerie cherchait à obtenir l’annulation d’une décision du ministre de l’intérieur rejetant la demande d’application de l’article 6 de la directive n° 2003/88 aux gendarmes.

L’arrêt du Conseil d’Etat du 17 décembre 2021 (CE 27 déc. 2021, n° n° 437125, Dalloz actualités 5 janv. 2022, obs. E. Maupin, D. 2022, p. 444, note D. Mainguy) rejette la demande en se fondant sur l’étude de la réalité des conditions d’emploi, en termes de temps de travail, d’astreinte ou de repos, des gendarmes, estimée conforme à la directive de 2003.

Fin de la question, donc. L’intérêt de l’arrêt repose également sur la reprise de l’arrêt French Data Network du 21 avril 2021 (CE, ass., 21 avril 2021, French Data Network et autres, n° 393099 et a., Lebon ; RFDA 2021, p. 421, concl. A. Lallet, p. 570, note A. Roblot-Croizier, AJDA 2021. 828 ; ibid. 1194chron. C. Malverti et C. Beaufils ; D. 2021. 797, et les obs., note T. Douville et H. Gaudin,  ; AJ pénal 2021. 309, chron. A. Archambault, RTD eur. 2021, p. 349, obs. L. Azoulai et D. Ritleng), et l’hypothèse de la mise en œuvre la « clause de sauvegarde » constitutionnelle, ici inutile, permettant de faire valoir des règles constitutionnelles sur des règles européennes, alors que l’arrêt de la CJUE avait considéré, que

que la directive de 2003, et notamment ses articles 5 et 6 sur le temps de repos et la durée maximale de travail, mais également l’ensemble de la jurisprudence européenne sur le temps d’astreinte, étant entendu que l’arrêt de la CJUE a interprété très strictement l’article 2 de la directive cadre n°89/391 écartant de son champ d’application « certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police (…) ». Par ailleurs, l’arrêt de la CJUE considère que l’article 4§2 du TUE, qui assure que le droit d’Union respecte « l'identité nationale [des Etats membres] inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles (…), les fonctions essentielles de l'Etat, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale », celle-ci étant de la « seule responsabilité des Etats-membres ».,  n'a pas pour effet d'exclure l'aménagement du temps de travail de l'ensemble des militaires du champ d'application du droit de l'Union. C’est là qu’ait pu intervenir soit un contrôle ultra vires où le juge français aurait pu considérer que le juge européen avait outrepassé son pouvoir d’interprétation de ce texte, ou faire valoir la clause de sauvegarde constitutionnelle à l’aune du principe, constitutionnel de libre disposition des forces armées dont découle l’obligation d’assurer la disponibilité de celles-ci, en tout temps et en tout lieu.

Par ailleurs, l’article 4§2 du TUE assure que le droit d’Union respecte « l'identité nationale [des Etats membres] inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles (…), les fonctions essentielles de l'Etat, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale », celle-ci étant de la « seule responsabilité des Etats-membres ». Or, ce principe n’a pas d’équivalent, en termes de garantie de protection de ce principe en droit européen, précisément du fait de l’interprétation de l’article 4§2 par le CJUE.

Par conséquent cet arrêt sonne la fin du débat de l’application des règles européennes du droit du travail aux gendarmes et, par itération, aux militaires.

Daniel Mainguy

 

CE, 17 déc. 2021, n°,437125

Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 25 décembre 2019, 5 juillet 2020, 1er octobre et 11 novembre 2021, M. G... Q... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande tendant à ce qu'il prenne les mesures nécessaires pour l'application à la gendarmerie des dispositions de l'article 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de prendre les mesures nécessaires dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 ;

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- le code de la défense ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- la circulaire n° 17400/GEND/DOE/SPSPSR/BSP du 4 novembre 2013 ;

- l'instruction n° 36132/GEND/DOE/SDSPSR/BSP du 8 juin 2016 ;

- l'instruction n° 35000/GEND/DSF du 13 décembre 2018 ;

- la circulaire n° 49500/GEND/DOE/SDSPSR/BSP du 10 juillet 2019 ;

- la circulaire n° 42000/GEND/DOE/SDSPSR/BSP du 16 mars 2021 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 9 mars 2021, RJ c/ Stadt Offenbach am Main (C-580/19) ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 15 juillet 2021, B.K. c/ Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo) (C-742/19) ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. Q..., sous-officier de gendarmerie affecté dans la gendarmerie départementale, a demandé au ministre de l'intérieur de prendre les mesures nécessaires pour assurer l'application à la gendarmerie des dispositions de l'article 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, limitant la durée hebdomadaire du temps de travail. Par une lettre du 18 décembre 2019, le directeur général de la gendarmerie nationale, agissant par délégation de signature du ministre de l'intérieur, a refusé de faire droit à cette demande. M. Q... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision. Eu égard à son intérêt à agir, sa requête doit être regardée comme ne contestant cette décision qu'en tant qu'elle concerne la gendarmerie départementale.

2. Aux termes de l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003 : " Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs : / a) la durée hebdomadaire du travail soit limitée au moyen de dispositions législatives, réglementaires ou administratives (...) ; / b) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires. " En application des dispositions des articles 16, 17 et 19 de cette directive, le respect de cette durée hebdomadaire peut être vérifié sur une période de référence allant jusqu'à six mois pour, notamment, les activités de garde, de surveillance et de permanence ou caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service. M. Q... soutient que la réglementation applicable dans la gendarmerie départementale méconnaît les objectifs de l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003.

3. Saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de transposer les directives dans le cadre d'un litige dirigé contre le refus de l'autorité administrative de prendre les mesures de transposition d'une disposition d'une directive, il incombe au juge administratif de vérifier si ces mesures relèvent de la compétence de l'autorité qui a été saisie de la demande et si les textes législatifs ou réglementaires en vigueur n'assurent pas une transposition suffisante et conforme de la disposition en cause. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité d'un tel refus au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

4. Les ministres des armées et de l'intérieur soutiennent, en défense, d'une part, que la demande de M. Q..., qui tend, selon eux, à l'annulation d'une décision individuelle relative à son temps de travail, ne relève pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'Etat et, d'autre part, que les exigences constitutionnelles de nécessaire libre disposition de la force armée et de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, au nombre desquels figurent l'indépendance de la Nation et l'intégrité du territoire, s'opposent à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête.

Sur l'exception d'incompétence du Conseil d'Etat soulevée par les ministres :

5. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (...) / 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale ; (...) ".

6. Les décisions refusant de prendre un acte réglementaire doivent elles-mêmes être regardées comme de nature réglementaire. Par suite, le Conseil d'Etat est compétent pour connaître de telles décisions lorsqu'elles sont prises par les ministres. La requête de M. Q... étant dirigée contre le refus du ministre de l'intérieur de prendre des mesures relatives au temps de travail, qui relèvent de son pouvoir réglementaire d'organisation du service, et ne tendant pas, contrairement à ce que soutiennent les ministres, à l'annulation d'une décision individuelle relative à son temps de travail, elle relève de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'Etat.

Sur le cadre juridique :

En ce qui concerne les exigences inhérentes à la hiérarchie des normes :

7. En vertu de l'article 88-1 de la Constitution : " La République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ". Selon le paragraphe 3 de l'article 4 du traité sur l'Union européenne : " En vertu du principe de coopération loyale, l'Union et les Etats membres se respectent et s'assistent mutuellement dans l'accomplissement des missions découlant des traités. / Les Etats membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'Union. / Les Etats membres facilitent l'accomplissement par l'Union de sa mission et s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union ". La seconde phrase du paragraphe 1 de l'article 19 du même traité assigne à la Cour de justice de l'Union européenne la mission d'assurer " le respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités ".

8. Le respect du droit de l'Union constitue une obligation tant en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qu'en application de l'article 88-1 de la Constitution. Il emporte l'obligation de transposer les directives et d'adapter le droit interne aux règlements européens. En vertu des principes de primauté, d'unité et d'effectivité issus des traités, tels qu'ils ont été interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, le juge national, chargé d'appliquer les dispositions et principes généraux du droit de l'Union, a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire, qu'elle résulte d'un engagement international de la France, d'une loi ou d'un acte administratif.

9. Toutefois, tout en consacrant l'existence d'un ordre juridique de l'Union européenne intégré à l'ordre juridique interne, dans les conditions mentionnées au point précédent, l'article 88-1 confirme la place de la Constitution au sommet de ce dernier. Il appartient au juge administratif, s'il y a lieu, de retenir de l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a donnée des obligations résultant du droit de l'Union la lecture la plus conforme aux exigences constitutionnelles autres que celles qui découlent de l'article 88-1, dans la mesure où les énonciations des arrêts de la Cour le permettent. Dans le cas où l'application d'une directive ou d'un règlement européen, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, aurait pour effet de priver de garanties effectives l'une de ces exigences constitutionnelles, qui ne bénéficierait pas, en droit de l'Union, d'une protection équivalente, le juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, doit l'écarter dans la stricte mesure où le respect de la Constitution l'exige.

10. Il en résulte, d'une part, que, dans le cadre du contrôle de la légalité et de la constitutionnalité des actes réglementaires assurant directement la transposition d'une directive européenne ou l'adaptation du droit interne à un règlement et dont le contenu découle nécessairement des obligations prévues par la directive ou le règlement, il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance d'une disposition ou d'un principe de valeur constitutionnelle, de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit de l'Union européenne qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du juge de l'Union, garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué. Dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge administratif, afin de s'assurer de la constitutionnalité de l'acte réglementaire contesté, de rechercher si la directive que cet acte transpose ou le règlement auquel cet acte adapte le droit interne est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit de l'Union. Il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. En revanche, s'il n'existe pas de règle ou de principe général du droit de l'Union garantissant l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d'examiner directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées.

11. D'autre part, lorsqu'il est saisi d'un recours contre un acte administratif relevant du champ d'application du droit de l'Union et qu'est invoqué devant lui le moyen tiré de ce que cet acte, ou les dispositions législatives qui en constituent la base légale ou pour l'application desquelles il a été pris, sont contraires à une directive ou un règlement européen, il appartient au juge administratif, après avoir saisi le cas échéant la Cour de justice d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation ou la validité de la disposition du droit de l'Union invoquée, d'écarter ce moyen ou d'annuler l'acte attaqué, selon le cas. Toutefois, s'il est saisi par le défendeur d'un moyen, assorti des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé, tiré de ce qu'une règle de droit national, alors même qu'elle est contraire à la disposition du droit de l'Union européenne invoquée dans le litige, ne saurait être écartée sans priver de garanties effectives une exigence constitutionnelle, il appartient au juge administratif de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit de l'Union européenne qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du juge de l'Union, garantit par son application l'effectivité de l'exigence constitutionnelle invoquée. Dans l'affirmative, il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse justifiant une question préjudicielle à la Cour de justice, d'écarter cette argumentation avant de faire droit au moyen du requérant, le cas échéant. Si, à l'inverse, une telle disposition ou un tel principe général du droit de l'Union n'existe pas ou que la portée qui lui est reconnue dans l'ordre juridique européen n'est pas équivalente à celle que la Constitution garantit, il revient au juge administratif d'examiner si, en écartant la règle de droit national au motif de sa contrariété avec le droit de l'Union européenne, il priverait de garanties effectives l'exigence constitutionnelle dont le défendeur se prévaut et, le cas échéant, d'écarter le moyen dont le requérant l'a saisi.

En ce qui concerne les exigences constitutionnelles invoquées en défense par les ministres :

12. Aux termes de l'article 5 de la Constitution : " Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. / Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. ". Selon son article 15 : " Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale. ". Aux termes de son article 20 : " Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. / Il dispose de l'administration et de la force armée. / (...) ". Selon son article 21 : " Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. (...) ".

13. Il résulte de ce qui précède que la Constitution garantit la nécessaire libre disposition de la force armée, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel par ses décisions n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014 et n° 2014-450 QPC du 27 février 2015. A la lumière des exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, au premier rang desquels figurent l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire, qui en sont la finalité, cette libre disposition de la force armée implique que soit assurée la disponibilité, en tout temps et en tout lieu, des forces armées.

14. Selon le paragraphe 2 de l'article 4 du traité sur l'Union européenne, il appartient à l'Union, y compris à la Cour de justice de l'Union européenne, de respecter l'identité nationale des Etats membres, " inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles ", ainsi que " les fonctions essentielles de l'Etat, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale ", cette dernière restant " de la seule responsabilité des Etats membres ". La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, dans son arrêt du 15 juillet 2021, B.K. c/ Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo) (C-742/19), que l'Union respecte, d'une part, l'identité nationale des Etats membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles et, d'autre part, les fonctions essentielles de l'Etat, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale, celle-ci relevant de la seule responsabilité de chaque Etat membre. La Cour a rappelé que les missions principales des forces armées des Etats membres, que sont la préservation de l'intégrité territoriale et la sauvegarde de la sécurité nationale, figuraient explicitement parmi les fonctions essentielles de l'Etat que l'Union doit respecter, en vertu de l'article 4, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne. La Cour a ainsi précisé que les règles du droit de l'Union ne sauraient être interprétées d'une manière telle qu'elles empêcheraient les forces armées d'accomplir leurs missions et souligné à cet égard que les spécificités que chaque Etat membre confère au fonctionnement de ses forces armées devaient être dûment prises en considération, que ces spécificités résultent, entre autres, des responsabilités internationales particulières assumées par cet Etat membre, des conflits ou des menaces auxquels il est confronté, ou encore du contexte géopolitique dans lequel cet Etat évolue.

15. Elle a cependant estimé qu'il ne découlait pas du respect dû par l'Union aux fonctions essentielles de l'Etat que les décisions des Etats membres relatives à l'organisation de leurs forces armées échapperaient au champ d'application du droit de l'Union. Elle a déduit de son interprétation de l'article 4, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne que ne sauraient relever du champ d'application de la directive du 4 novembre 2003 les activités des militaires intervenant dans le cadre d'une opération militaire, de leur formation initiale, d'un entraînement opérationnel, ainsi que celles qui présentent un lien d'interdépendance avec des opérations militaires et pour lesquelles l'application de la directive se ferait au détriment du bon accomplissement de ces opérations. Elle a également rappelé que les activités qui ne se prêtent pas à un système de rotation des effectifs, eu égard aux hautes qualifications des militaires en question ou à leurs tâches extrêmement sensibles, ainsi que celles qui sont exécutées dans le cadre d'événements exceptionnels, ne sauraient se voir appliquer les règles de la directive.

16. En dépit de la portée que la Cour de justice a ainsi conférée aux stipulations de l'article 4, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne en ce qui concerne l'application du droit de l'Union dans les forces armées et malgré les exclusions qu'elle en a déduites, les exigences constitutionnelles mentionnées au point 13, qui s'appliquent à des domaines relevant exclusivement ou essentiellement de la compétence des Etats membres en vertu des traités constitutifs de l'Union, ne sauraient être regardées comme bénéficiant, en droit de l'Union, d'une protection équivalente à celle que garantit la Constitution.

17. Il résulte de ce qui est dit aux points 3 et 7 à 16 qu'il incombe d'abord au juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre le rejet d'une demande tendant à la transposition d'une directive susceptible de limiter la disponibilité des forces armées, de vérifier si les militaires concernés ne sont pas exclus du champ de cette directive en raison de leurs activités. S'ils en sont exclus, il rejette les conclusions dont il est saisi. Dans l'hypothèse inverse, il lui revient de vérifier si le droit national est compatible avec les objectifs de la directive. A supposer, enfin, qu'il constate l'incompatibilité du droit national avec ces objectifs et qu'il soit saisi d'un moyen en défense en ce sens, il lui appartient de s'assurer que l'application du droit de l'Union ne conduirait pas à ce que les limites fixées à la disponibilité des forces armées privent de garanties effectives l'exigence constitutionnelle de nécessaire libre disposition de la force armée, aux fins d'assurer la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, et, le cas échéant, d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance du droit de l'Union dont le requérant l'a saisi.

Sur la requête :

S'agissant du champ d'application de la directive du 4 novembre 2003 :

18. Aux termes du paragraphe 3 de l'article 1er de la directive du 4 novembre 2003 : " La présente directive s'applique à tous les secteurs d'activités, privés ou publics, au sens de l'article 2 de la directive 89/391/CEE, sans préjudice des articles 14, 17, 18 et 19 de la présente directive. (...) ". Aux termes de l'article 2 de la directive du 12 juin 1989, cette directive " s'applique à tous les secteurs d'activités, privés ou publics (...) ". Toutefois, elle n'est pas applicable " lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s'y opposent de manière contraignante ".

19. La directive du 4 novembre 2003 renvoie à la directive du 12 juin 1989 pour la définition de son champ d'application matériel. Le choix de leurs auteurs a été, d'une part, de donner une dimension extrêmement large à ce champ qui couvre tous les secteurs d'activités, privés ou publics, d'autre part, de prendre en compte la nature de l'activité exercée et non le statut assigné par la loi nationale à telle ou telle catégorie de travailleurs. Et ce n'est, selon les termes mêmes de l'article 2 de la directive du 12 juin 1989, que lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques, par exemple susceptibles d'être exercées par les membres des forces armées, s'y opposent de manière contraignante que les activités en cause sont exclues des prévisions de cette directive.

20. La Cour de justice de l'Union européenne a ainsi jugé, dans son arrêt du 15 juillet 2021, que les militaires n'étaient pas exclus du champ d'application de cette directive du fait de cette seule qualité. Comme il a été dit au point 14, elle a toutefois estimé que les règles de temps de travail de la directive ne pouvaient être interprétées d'une telle manière qu'elles empêcheraient les forces armées d'accomplir leurs missions, afin de ne pas porter atteinte à la préservation de l'intégrité territoriale et la sauvegarde de la sécurité nationale par les Etats. Elle en a déduit que ne sauraient relever du champ d'application de la directive du 4 novembre 2003 les activités des militaires mentionnées au point 15 de la présente décision.

21. Aux termes de l'article L. 3211-1 du code de la défense : " Les forces armées comprennent : / 1° L'armée de terre, la marine nationale et l'armée de l'air et de l'espace (...) / 2° La gendarmerie nationale ; / 3° Les services de soutien et les organismes interarmées. (...) ". Selon l'article L. 3211-3 de ce code : " La gendarmerie nationale est une force armée instituée pour veiller à l'exécution des lois. / Sans préjudice des dispositions de l'article L. 421-1 du code de la sécurité intérieure, elle participe à la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation, notamment au contrôle et à la sécurité des armements nucléaires. / L'ensemble de ses missions militaires s'exécute sur toute l'étendue du territoire national, ainsi qu'en haute mer à bord des navires battant pavillon français. Hors de ces cas, elles s'exécutent en application des engagements internationaux de la France, ainsi que dans les armées. ". L'article L. 421-1 du code de la sécurité intérieure, dont le premier alinéa définit la gendarmerie nationale dans des termes identiques à celui de l'article L. 3211-3 du code de la défense, cité ci-dessus, dispose en ses alinéas suivants que : " La police judiciaire constitue l'une de ses missions essentielles. / La gendarmerie nationale est destinée à assurer la sécurité publique et l'ordre public, particulièrement dans les zones rurales et périurbaines, ainsi que sur les voies de communication. / Elle contribue à la mission de renseignement et d'information des autorités publiques, à la lutte contre le terrorisme, ainsi qu'à la protection des populations. / (...) ". Les articles L. 3225-1 et L. 421-2 de ces mêmes codes prévoient que la gendarmerie exerce des missions militaires, pour lesquelles elle est placée sous l'autorité du ministre de la défense, des missions civiles, sous l'autorité du ministre de l'intérieur, ainsi que des missions judiciaires. Enfin, selon l'article R. 3225-6 du code de la défense : " Les formations de gendarmerie départementale remplissent dans leur ressort l'ensemble des missions dévolues à la gendarmerie nationale. (...). "

22. Il résulte de ces dispositions que les formations de gendarmerie départementale sont susceptibles de remplir des missions civiles et militaires. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les militaires de la gendarmerie départementale, qui constitue une composante des forces armées, exercent dans leur ensemble des activités relevant d'une des exclusions au champ d'application de la directive du 4 novembre 2003 mentionnées au point 15, les ministres soutenant d'ailleurs que seule une partie " très minoritaire " des effectifs exerce de telles activités.

S'agissant de l'organisation du temps de service des militaires de la gendarmerie départementale :

23. L'organisation générale du temps de service des militaires de la gendarmerie départementale, ainsi qu'elle est notamment fixée par l'instruction du 8 juin 2016, comprend, en premier lieu, des temps d'activité, durant lesquels ces militaires sont directement employés pour les besoins du service. En deuxième lieu, les gendarmes peuvent également être placés sous astreinte, durant laquelle ils peuvent, selon les cas, être mobilisés immédiatement ou sous un délai qui est, en principe, de deux heures. Enfin, la réglementation applicable leur garantit des droits à repos, dont certains ne sont pas exclusifs d'une astreinte.

24. Ainsi qu'il a été dit aux points 21 et 22, la gendarmerie départementale exerce des missions civiles et militaires. Elle concourt notamment aux missions de défense opérationnelle du territoire, prévues à l'article R*. 1421-1 du code de la défense, pour assurer le maintien de la liberté et de la continuité d'action du Gouvernement, ainsi que la sauvegarde des organes essentiels à la défense de la Nation. Conformément au 2° de cet article, la gendarmerie départementale contribue en effet à " assurer au sol la couverture générale du territoire " en présence d'une menace extérieure. Afin de permettre le bon accomplissement de l'ensemble de ses missions civiles et militaires, l'état militaire implique des sujétions particulières. Il en découle, s'agissant de chaque militaire, selon l'article L. 4111-1 du code de la défense, que l'" esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême " constitue l'une des obligations inhérentes à l'état militaire. Cet état exige en outre, en vertu des mêmes dispositions, que le militaire fasse preuve de " disponibilité " en toute circonstance, et l'article L. 4121-5 de ce code prévoit que " Les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu ". La disponibilité constitue ainsi l'un des devoirs de tout militaire de la gendarmerie. Il y a dès lors lieu, pour apprécier l'organisation du temps de service des gendarmes, de prendre en compte les particularités de leur état et les sujétions qu'ils ont ainsi acceptées, leurs missions n'étant pas exercées dans des conditions similaires à celles d'autres travailleurs qui ne relèvent pas du statut militaire.

25. C'est au regard de ces principes et de ces missions qu'il convient ainsi, d'abord, de se prononcer sur la qualification des astreintes des militaires de la gendarmerie départementale, avant d'examiner les garanties législatives et réglementaires en matière de repos et, enfin, de vérifier, au regard des réponses aux deux questions précédentes, si l'organisation de la gendarmerie départementale assure le respect des objectifs de l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003.

En ce qui concerne les astreintes :

26. Aux termes de l'article 2 de la directive du 4 novembre 2003 : " Aux fins de la présente directive, on entend par : / 1. " temps de travail " : toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ; / 2. " période de repos " : toute période qui n'est pas du temps de travail ; (...) ".

27. Par son arrêt du 9 mars 2021, RJ c/ Stadt Offenbach am Main (C-580/19), ainsi qu'aux points 93 à 95 de son arrêt précité du 15 juillet 2021, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que les périodes d'astreinte effectuées sur des lieux de travail qui ne se confondent pas avec le domicile du travailleur devaient normalement être qualifiées, dans leur intégralité, de temps de travail, dès lors que le travailleur doit alors rester éloigné de son environnement social et familial et bénéficie d'une faible latitude pour gérer le temps pendant lequel ses services ne sont pas sollicités. S'agissant des autres périodes d'astreinte, la Cour a jugé qu'elles étaient également susceptibles d'être qualifiées de temps de travail selon qu'elles permettent ou non au travailleur de gérer librement son temps pendant ses périodes d'astreinte et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Elle a dit pour droit, aux points 48 à 53 de son arrêt du 9 mars 2021, qu'une telle qualification devait faire l'objet d'une appréciation au cas par cas, prenant en compte, premièrement, le temps de réaction laissé au travailleur, deuxièmement, les contraintes et facilités accordées au travailleur pendant cette période et, troisièmement, la fréquence moyenne des prestations effectives normalement réalisées par ce travailleur.

28. L'instruction du 8 juin 2016 dispose, en ses points 1.2 et 1.3, que les militaires de la gendarmerie, lorsqu'ils ne sont pas employés pour les besoins du service, peuvent être placés soit dans la position d'activité dite de la " ressource immédiatement employable ", c'est-à-dire sous astreinte immédiate, soit dans celle de la " ressource complémentaire ", c'est-à-dire en astreinte sous délai, laquelle permet de les rappeler dans un créneau de temps qui est en principe de deux heures. L'organisation ainsi instituée a pour objet de garantir le bon accomplissement des missions spécifiques de la gendarmerie, dans le cadre de son organisation militaire, qui lui permet notamment d'assurer sa réactivité en toute circonstance ainsi que le maillage complet du territoire par des unités polyvalentes et de faible effectif.

29. En premier lieu, eu égard au délai maximal, en principe de deux heures, laissé aux militaires placés en astreinte sous délai pour rejoindre leur unité, le temps passé dans cette position ne saurait, en tout état de cause, être regardé comme relevant du temps de travail au sens de la directive du 4 novembre 2003.

30. En second lieu, si les militaires placés sous astreinte immédiate sont susceptibles d'être appelés à tout instant par le commandant de leur unité, ainsi qu'il résulte de l'annexe II de l'instruction du 8 juin 2016, il ne s'ensuit pas, pour autant, que ces périodes doivent nécessairement être prises en compte pour apprécier le respect de l'objectif fixé par l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003, lorsque ces militaires ne sont pas effectivement mobilisés.

31. En effet, premièrement, les officiers et sous-officiers de la gendarmerie sont tenus d'occuper un logement en caserne, comme le prévoit l'article L. 4145-2 du code de la défense et ses textes d'application. Cette obligation de logement en caserne est directement liée à l'obligation de disponibilité mentionnée au point 24. En contrepartie, le logement des gendarmes leur est concédé par nécessité absolue de service et de manière gratuite, conformément à l'article R. 2124-67 du code général de la propriété des personnes publiques. Il résulte par ailleurs du point 3.1.1.1 de l'instruction du 13 décembre 2018 que ce logement est situé sur le lieu de travail ou, à défaut, à proximité immédiate.

32. Il ressort des écritures des ministres, non contestées sur ce point, que les officiers et sous-officiers de la gendarmerie, dans le cadre fixé par l'annexe II de l'instruction du 8 juin 2016, effectuent leur période d'astreinte à leur résidence. La circonstance que le logement concédé gratuitement aux gendarmes est situé sur le lieu de travail ou à son immédiate proximité permet aux militaires concernés d'y disposer librement de leur temps lorsqu'ils ne sont pas mobilisés, ce dans leur environnement social et familial, tout en rejoignant rapidement leur lieu d'emploi en cas de besoin. La facilité qui est ainsi accordée aux gendarmes permet de réduire l'impact objectif des périodes d'astreinte immédiate sur les militaires concernés, alors même que le délai de mobilisation qui leur est imposé serait très bref.

33. Deuxièmement, il résulte du deuxième alinéa du I de l'instruction du 8 juin 2016 que les responsables hiérarchiques engagent en priorité, en cas de nécessité opérationnelle, les militaires de la " ressource employée ", c'est-à-dire des militaires déjà en service, et qu'ils ne recourent aux gendarmes placés sous astreinte immédiate que dans un deuxième temps, lorsque les ressources sont insuffisantes. Cet ordre de priorité est de nature à limiter la fréquence des sollicitations et, par suite, les temps d'activité effectifs des militaires concernés.

34. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient M. Q..., eu égard à l'ensemble des contraintes et facilités accordées aux militaires de la gendarmerie placés sous astreinte immédiate, compte tenu de ce que les règles d'emploi fixées par l'instruction du 8 juin 2016 prévoient qu'ils ne soient mobilisés que dans un deuxième temps, en cas de nécessité opérationnelle, et dans le cadre de l'équilibre entre les sujétions et les compensations propres à l'état militaire, ces périodes d'astreinte immédiate ne sauraient être regardées, dès lors qu'elles sont effectuées à domicile, comme constituant en totalité du temps de travail, seules les périodes de mobilisation effective des gendarmes concernés devant recevoir cette qualification. Dès lors, eu égard à ce qui a été dit au point 29, il n'y a pas lieu de prendre en compte les astreintes des militaires de la gendarmerie départementale pour apprécier le respect de l'objectif de l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003.

En ce qui concerne les droits à repos prévus par les dispositions applicables à la gendarmerie départementale :

35. En premier lieu, la circulaire du 4 novembre 2013 dispose que chaque militaire a droit à deux jours de repos par semaine, qui couvrent une période de quarante-huit heures consécutives ou deux périodes de vingt-quatre heures chacune. Il résulte du point 1.3 de cette circulaire que le repos hebdomadaire est octroyé au cours de la semaine qui y ouvre droit, sauf nécessité absolue de service.

36. En deuxième lieu, l'instruction du 8 juin 2016 prévoit, en son point 2.1, que les militaires de la gendarmerie départementale bénéficient d'une période de repos physiologique journalier de onze heures consécutives par période d'activité de vingt-quatre heures, soit cinquante-cinq heures par semaine. En son point 2.2, elle prévoit l'octroi d'un repos physiologique compensateur dans le cas où le repos physiologique journalier a été réduit, qui est accordé soit sous la forme d'une période de repos de onze heures, accordée dès la fin du dernier service effectué, soit par report des heures non attribuées dans un délai maximal de quatorze jours. Si elle prévoit en son point 2.3 que les repos physiologiques peuvent ne pas être accordés dans des cas exceptionnels, pour des raisons opérationnelles objectives définies au regard de plusieurs conditions cumulatives, pour des services particuliers ou pour atteindre des objectifs opérationnels de formation, il résulte de ce qui a été dit au point 15 sur les exclusions du champ de la directive du 4 novembre 2003 que ces activités ne relèvent pas de celui-ci en tout état de cause.

37. Il résulte également des dispositions des points 1.2, 1.3 et 2.1 de cette même instruction que les militaires de la gendarmerie départementale sont susceptibles, durant leurs onze heures de repos physiologiques, d'être placés en astreinte immédiate ou sous délai. Toutefois, d'une part, l'instruction du 8 juin 2016 permet d'assurer, lorsque le militaire est effectivement engagé durant une période d'astreinte, que celui-ci bénéficie de son droit au repos, soit sous la forme d'un repos physiologique journalier octroyé après son dernier service, soit par le report, dans un délai rapproché, des heures de repos non consommées. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 34, il n'y a pas lieu de prendre en compte les astreintes des militaires de la gendarmerie départementale pour apprécier le respect de l'objectif fixé par l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003, lorsqu'ils ne sont pas effectivement mobilisés.

38. En troisième lieu, la circulaire du 16 mars 2021 prévoit que les militaires de la gendarmerie départementale disposent de deux " quartiers libres " par semaine, lesquels constituent, selon le point 1.1 de cette circulaire, des périodes durant lesquelles les gendarmes ne sont soumis à aucune obligation de service et bénéficient de leur liberté de mouvement. Un quartier libre peut être accordé pour une période de six, cinq ou quatorze heures selon qu'il est fixé le matin, l'après-midi ou la nuit, en vertu du point 1.2 de cette circulaire. Ainsi que le précise le deuxième alinéa du point 2.1.2 de cette circulaire, chaque militaire bénéficie par principe de deux quartiers libres nocturnes. Il résulte par ailleurs du dernier alinéa de ce même point que, lorsque le minimum de deux quartiers libres nocturnes ne peut être octroyé en raison de circonstances particulières, le commandant d'unité peut alors accorder vingt-quatre heures consécutives de quartiers libres.

39. Chacun des deux quartiers libres nocturnes hebdomadaires étant plus long de trois heures que les droits à repos ouverts au titre du seul titre repos physiologique journalier, les dispositions de la circulaire du 16 mars 2021 garantissent un temps de repos supplémentaire minimal d'au moins six heures par semaine aux militaires de la gendarmerie départementale.

40. Il résulte des textes à caractère réglementaire analysés aux points 35 à 39 qu'un militaire affecté à la gendarmerie départementale bénéficie d'un temps de repos hebdomadaire garanti de cent-neuf heures. Il s'en déduit que la durée pendant laquelle ce militaire ne bénéficie pas d'un tel repos garanti n'excède pas cinquante-neuf heures par semaine.

En ce qui concerne le respect de l'objectif fixé par l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003 relatif à la durée maximale du travail :

41. En premier lieu, les sujétions spécifiques que connaissent les militaires de la gendarmerie afin de garantir leur disponibilité font l'objet de compensations. Ils disposent, en particulier, de quarante-cinq jours de permissions par année civile de service, soit neuf semaines, en application de l'article R. 4138-19 du code de la défense. Par ailleurs, des autorisations spéciales d'absence sont accordées aux gendarmes afin de " concilier vie professionnelle et personnelle ", selon les termes de la circulaire du 10 juillet 2019, et ce dans le cadre de l'obligation de tout chef militaire de porter attention aux conditions de vie de ses subordonnés. Si aucun de ces dispositifs ne garantit, par lui-même, la réduction de la durée d'activité sur toute période de six mois, ils sont de nature, dans le cadre de l'équilibre spécifique des sujétions et des compensations qui caractérise l'état militaire, à diminuer le temps d'activité des militaires de la gendarmerie nationale.

42. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des écritures du requérant qui produit ses propres relevés d'activité, que le temps d'activité fait l'objet d'un décompte individuel dans la gendarmerie départementale. Il ressort également des pièces du dossier, notamment de la réponse faite par les ministres à la mesure d'instruction diligentée par la 7ème chambre de la section du contentieux, que le temps moyen d'activité hebdomadaire dans la gendarmerie départementale est en pratique, hors astreinte, de quarante heures environ, et que, sauf circonstances exceptionnelles, il ne dépasse pas quarante-huit heures.

43. Il résulte ainsi, d'une part, des garanties réglementaires rappelées au point 40, d'autre part, des éléments mentionnés au point 42, dont il doit être tenu compte eu égard aux spécificités propres à l'état militaire, et enfin de la circonstance que les astreintes des gendarmes ne sauraient être prises en compte pour apprécier le respect de l'objectif fixé par l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003, que l'organisation de la gendarmerie départementale assure que le temps de travail, au sens de cette directive, des militaires qui y servent est effectivement inférieur à quarante-huit heures par semaine, le respect de cette durée étant vérifié sur une période pouvant aller jusqu'à six mois. Il est rappelé en outre que ni la réglementation nationale ni la directive du 4 novembre 2003 ne font obstacle à ce que cette durée hebdomadaire soit dépassée pour l'exercice des activités de la gendarmerie qui ne relèvent pas, en tout état de cause, du champ de cette directive, ainsi qu'il a été rappelé au point 15, en particulier en cas de circonstances exceptionnelles. Le requérant n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que la décision qu'il attaque méconnaît l'obligation de transposition de l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003.

44. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le bien-fondé du moyen en défense tiré des exigences constitutionnelles, que la requête de M. Q... doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction.

D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. Q... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. G... Q..., à la ministre des armées et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 décembre 2021 où siégeaient : M. Bruno Lasserre, vice-président, présidant ; M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux ; Mme Martine de Boisdeffre, M. Didier-Roland Tabuteau, Mme Sylvie Hubac, M. Edmond Honorat, Mme Catherine Bergeal, présidents de section ; M. Rémy Schwartz, Mme Christine Maugüé, présidents adjoints de la section du contentieux ; M. Patrick Gérard, président adjoint de la section de l'administration ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, M. Nicolas Boulouis, Mme Maud Vialettes, M. Bertrand Dacosta, M. Olivier Japiot, présidents de chambre et M. Alexis Goin, auditeur-rapporteur.

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