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Réflexions, à chaud, à propos de la suppression du CNU

D. Mainguy

Le Sénat a adopté une version du projet de loi sur la programmation de la recherche 2021-2030 (LPPR). Seul ce texte est disponible, alors que celui de la Commission mixte paritaire (CMP) demeure mystérieusement inaccessible.

Plusieurs dispositions font l’objet d’une opposition forte des universitaires dont, principalement, la question de la définition des libertés universitaires et la « suppression » du CNU. Beaucoup a été dit sur le CNU, des améliorations sont sans doute possibles, mais il apparaît certain que la technique de qualification, au moins pour l'expérience vécue, est efficace, indépendante et impartiale. A l'inverse, le recrutement direct, sans aucun contrôle scientifique national ou en tout cas "extérieur", indépendant et impartial, aboutira, nécessairement, à des pratiques de recrutement susceptibles de laisser de côtés ces exigences, pourtant indispensables à la perpétuation des valeurs académiques, par ailleurs renforcées dans la LPPR.

Il paraît très probable que le texte, secret, de la CMP sera adopté. Le résultat, s'agissant du rôle du CNU, sera, à quelques choses près, le suivant :

C. éd., art. L. 952-6 : « Sauf dispositions contraires des statuts particuliers, et sauf lorsque le candidat est maître de conférences titulaire, la qualification des enseignants-chercheurs est reconnue par une instance nationale (…).

La qualification par le CNU type « 46-1 » ou « 46-3 » pour le recrutement des professeurs est donc supprimée.

C. éd., art. L. 952-6-3 (nouveau) : Par dérogation aux articles L. 952-6 et L. 952-6-1 et à titre expérimental, pour les postes publiés au plus tard le 30 septembre 2024, les établissements publics d’enseignement supérieur peuvent demander, après approbation du conseil d’administration, à être autorisés à déroger pour un ou plusieurs postes à la nécessité d’une qualification des candidats reconnue par l’instance nationale afin d’élargir les viviers des candidats potentiels et de fluidifier l’accès aux corps, cela dans toutes les disciplines à l’exception de la médecine, de l’odontologie, de la pharmacie et de celles permettant l’accès au corps des professeurs des universités par la voie des concours nationaux de l’agrégation. La dérogation est accordée par décret pour la durée de l’expérimentation.

Dans ce cas, préalablement à l’examen des candidatures, le comité de sélection, ou l’instance équivalente prévue par les statuts de l’établissement, examine les titres et travaux des personnes qui ne disposent pas d’une qualification reconnue par l’instance nationale, sur la base du rapport de deux spécialistes de la discipline concernée de niveau au moins équivalent à celui de l’emploi à pourvoir. En cas d’avis favorable du comité de sélection, il ajoute les dossiers ainsi qualifiés à ceux des candidats disposant d’une qualification reconnue par l’instance nationale et à ceux des personnes dont la qualification reconnue par une instance nationale n’est pas requise. Il procède ensuite à l’examen de l’ensemble de ces candidatures.

Au plus tard le 1er janvier 2025, un rapport d’évaluation de l’expérimentation établi par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur est remis au ministre chargé de l’enseignement supérieur et transmis au Parlement. Cette évaluation porte notamment sur l’incidence de la dispense de qualification reconnue par l’instance nationale sur la qualité et la transparence des procédures de recrutement.

Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application des dispositions du présent article.

La qualification pour les fonctions de maîtres de conférences est donc supprimée, à la demande du Président d’université, pour un ou plusieurs postes, pour quatre ans. Cette solution ne concerne cependant pas les sections de Médecine, Pharmacie, Odontologie et celles permettant l’accès au corps des professeurs des universités, les sections du « Groupe 1 », 01 à 06. Le caractère « expérimental » de la suppression a bien entendu, sauf surprise, vocation à devenir définitif.

Plusieurs voies s’offrent pour tenter de peser, contre, la mise en œuvre de ces règles nouvelles, prises sans concertation, par un amendement au Sénat, de nuit, dans une ambiance déjà électrique, etc.

Première voie : faire pression sur les présidents d’université. Si la CPU a fait publiquement savoir qu’elle approuvait la LPPR, il reste à mesurer, sur le terrain, la réalité de l’acceptation de la mise en œuvre de l’article L. 952-6-3, notamment parce que l’exception de qualification n’est pas automatique, mais doit être demandée par le Président de l’université, après accord du CA. Elle pourrait d’ailleurs être réservée à certaines sections seulement, du moins parmi celles qui sont concernées par la règle nouvelle.

Deuxième voie : le décret d’application. L’article L. 953-6-3 suppose un décret d’application pour sa mise en œuvre, qui modifiera, au moins, les articles 9 et suivants et 42 et suivants du Décret du 6 juin 1984.

C’est à cet égard que la plus grande attention doit être désormais concentrée. La question se pose, outre celui du périmètre de la demande de dérogation du Président de l’Université, des modalités de fonctionnement des comités de sélection.

Il est évident que c’est ici que le « localisme », voire le népotisme, peut s’exprimer le plus aisément. C’est le comité de sélection qui choisit, en effet, les « spécialistes de la discipline » chargés d’évaluer les candidatures et on peut raisonnablement penser que ce choix transforme le comité de sélection, et son président, en juge et partie. Pour éviter cet écueil, et assurer une égalité avec des candidats qui auraient déjà bénéficié d’une qualification, plusieurs propositions peuvent être formulées.

Les articles actuels 9 et suivants et 45 du décret de 1984 prévoient en effet que les candidats sont recrutés par un comité de sélection sur la base de rapports des membres du comité pour l’article 9-2 (donc le recrutement des MCF) et 45 (recrutement des professeurs). L’article L. 956-2-3 prévoit des rapporteurs spécialistes de la discipline concernée, la notion de « discipline concernée » n’étant pas claire et sujette à de multiples interprétations.

Comme on peut imaginer que le décret ne va pas réglementer les disciplines (autrement que par section), il y donc lieu de prévoir des garde-fous pour éviter des rapports de complaisance de rapporteurs complaisamment désignés, rien n’interdisant d’ailleurs que les rapports soient effectués en dehors du comité de sélection.

Tout repose donc sur la composition des comités de sélection, la pratique montrant d’ailleurs des attitudes diverses en fonction des besoins et/ou des habitudes des facultés.

On peut envisager que :

1 : les comités de sélection sont validés par le CNU et les rapporteurs sont désignés par le CNU

2 : les rapporteurs sont validés ou désignés par le CNU

3 : un rapporteur au moins est désigné par le CNU

Troisième voie : l’ « autogestion ». Rien n’interdit au CNU actuel, par exemple dans le groupe 1, par exemple encore la section 01, de se constituer pour proposer un avis sur les candidatures aux postes de professeur, comme s’ils siégeaient en formation de qualification, par visioconférence ou de manière hybride, sans coût donc, et de publier cet avis. Cela pourrait être sous la forme d’une « qualification », comme avant la LPPR. Rien n’interdit non plus à un groupe d’universitaires, dans les autres sections (ou après 2024) de se rassembler en un groupe, élu, qui pourrait s’appeler « CNU Section XX » et d’examiner les candidatures aux fonctions de maîtres de conférences. L’exercice est, déjà, en l’état actuel, gratuit, sinon coûteux.

L’écueil, évidemment, est de parvenir à convaincre les candidats, aux fonctions de professeurs, ou dans les sections concernées, aux fonctions de maîtres de conférences, d’adresser leurs dossiers de candidature. Ce pourrait être précisément la fonction de ces « sections libres » que de les inciter pour attirer l’attention des comités de sélections sur les qualités des dossiers.

Quatrième voie : moyens de pression. Ils sont évidemment faibles, sinon par la manifestation d’une majorité de collègues à l’adhésion, au moins de principe à l’esprit de résistance qui se manifeste déjà de manière forte.

Les enjeux sont considérables, sans exagération.

Le CNU est une instance née en 1945 de manière à rationaliser le service public de l'enseignement supérieur, à la manière dont tout le service de l'Etat l'était alors.

Tout s'est toujours bien passé durant tout le temps où "on", et l'Etat en premier, croyait encore aux vertus du service public, formés de fonctionnaires, qualifiés, motivés, non corrompus.

Les choses ont commencé à se dérégler à partir du moment où cette foi a  vacillé, sous les coups de boutoirs des passions intéressées, des marchés. Il serait puéril de penser que les intérêts financiers se désintéressent des enjeux universitaires, des enjeux, financiers, de l'enseignement supéréeurs, des enjeux du marché colossal de la "diplomation". Il suffit de tenter de se rendre dans une université américaine, pour mesurer ce qui signifie le "coût" de l'accès au diplôme, de mesurer la financiarisation de l'enseignement supérieur, à telle enseigne que la "bulle" financière de la "dette étudiante" aux Etats-Unis, du fait des emprunts considérables, contractés par les familles américaines, bien consciente des enjeux de pouvoirs qui se joue derrière l'accès au diplôme, menace d'éclater.

Or, d'autres établissements d'enseignement supérieurs que les Universités existent en France, les "grandes écoles", bien entendu, aux méthodes de recrutement "locales" et fondées sur une absence de qualité (ne parlons même pas d'excellence) académique, dans le seul but de monétiser les diplômes proposés par leurs employeurs, demandent, depuis longtemps, à pourvoir délivrer des diplômes de doctorat, qui leur ouvriraient la porte, au moins formellement, à la communauté des "docteurs". Or, le CNU, avec sa politique d'excellence, est évidemment un obstacle majeur à cette marchandisation. On comprend mieux, alors, la suppression, actée ou minutée, du CNU et la possibilité, sur le fondement d'une "autonomie" des établissements d'enseignement supérieur, très opportunément mise en avant.

Le développement des écoles privées, depuis quelques années illustre le partage qui s'opère entre des enfants qui se rendent dans ces établissements, où, par hypothèse, les professeurs certifiés et agrégés ne sont pas, tandis qu'ils sont dans les établissements publics, mais avec des élèves moins fortunés.

Or c'est déjà la situation de l'enseignement supérieur. D'un côté des centaines d'établissement privés, dont certains sont très bons, et d'autres se simples vendeurs de diplômes qui ne représentent qu'eux-mêmes, et de l'autre, des Universités, pleines de belles têtes, mais dont la population étudiante se paupérise. La demande des premiers est alors, sinon de siphonner les professeurs des seconds, au moins de pouvoir prétendre qu'ils disposent, via des doctorats au rabais et des recrutements non contrôlés (par le CNU), de se présenter comme équivalents aux Universités.

La mauvaise monnaie chassant toujours la bonne, les universités, c'est commencer, pourront alors, de la même manière s'organiser dans cette concurrence, ce marché, vers des recrutements où les enseignants chercheurs seront vassalisés, et sans doute précarisés.

La privatisation du service public de l'enseignement supérieur, voilà l'objectif. Est-ce souhaitable pour la France et les français? Est-ce dans le débat politique, médiatique? Est-ce que que quelqu'un a voté pour cet objectif? 

Le tout décidé, en CMP, le 9 novembre, le jour du cinquantième anniversaire du général de Gaulle, l'instigateur de l'ancêtre du CNU. 

Il y a des symboles foulés signifiants.

Pour autant tout est-il parfait dans le monde d'avec le CNU? Certainement pas. Les pratiques sont diverses, les immobilismes, dans certaines sections, bien présents, le conformisme parfois, voire la promotion de partis-pris idéologiques bien peu scientifiques, de même que des recrutements, malgré le CNU, réalisés pour des raisons plus locales que scientifiques, etc.

Faisons l'inventaire de ces questions et amélirons le fonctionnement de l'ensemble, pour le bien commun, mais faut-il changer, radicalement de monde?

 

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