Cass. civ. 1ère, 8 nov. 2017, n°16-18859
Une précision sur la question de l'entrée en vigueur d'une loi nouvelle, dans le contexte jurisprudentiel actuel, mais, ne concernant pas la réforme du droit des contrats.
Il s'agissait d'un contrat de fourniture d'eau potable, conclu en 1932 avec les propriétaires d'un immeuble, cédé en 2006. La même année, la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques impose, une obligation de facturation de l'eau au tarif applicable à la catégorie d'usagers correspondante (CGCT, art. L; 2224-12-1), avec l'exigence, à compter du 1er janvier 2008, de mettre fin à toute stipulation contraire (contenue dans les contrats antérieurs). Le syndicat mixte en charge de la gestion des eaux avait certes un peu tardé mais avait finalement statué en ce sens en 2013, rendant caduques les stipulations anciennes, celles du contrat de 1932. Le délégataire du service public considérait qu'un reliquat de facture lui était dû, sous l'empire de la convention caduque (on imagine que le tarif applicable était devenu plus favorable pour le client), sans doute après 2008.
Un juge de proximité avait reçu la demande mais fondée sur une motivation approximative : "si l’article L. 2224-12-1 du code général des collectivités territoriales prévoit que toute fourniture d’eau potable fait l’objet d’une facturation, la loi nouvelle ne s’applique pas aux conditions d’un acte juridique conclu antérieurement et que, même si elle est d’ordre public, cette loi ne peut frapper de nullité les actes définitivement conclus avant sa promulgation".
Cassation, assez prévisible : "en statuant ainsi, alors que la loi nouvelle enjoint expressément aux communes de mettre fin, à compter du 1er janvier 2008, aux stipulations contraires à l’obligation de facturation de la fourniture d’eau qu’elle édicte, de sorte qu’elle s’applique aux effets futurs des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés".
L'arrêt n'apporte pas de solution nouvelle : une loi impérative nouvelle s'impose aux effets futurs d'un contrat conclu sous l'empire d'une loi ancienne. La formule serait vérifiée que la loi ancienne soit elle-même impérative ou supplétive. Elle s'impose d'autant plus que la loi nouvelle fixe elle-même les conditions de son entrée en vigueur.
Peut-on y trouver un argument, pro ou contra, dans le jeu de l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016? On pourrait le penser en premier, dans la mesure où la question de la facturation suppose en premier que le prix soit affecté par la norme nouvelle, de sorte que l'arrêt se prononce dans une situation dans laquelle une norme nouvelle d'ordre public intéressant la formation et/ou le contenu d'un contrat, ici a exécution successive ou échelonnée, s'applique à un contrat conclu sous l'empire de la loi ancienne. Toutefois, le fait que la norme nouvelle ait expressément prévu cette application n'offre finalement que très peu d'arguments sur l'effet dans le temps de l'ordonnance de 2016 laquelle, au contraire, se contente d'une présentation peu explicite, sujette aux interprétations qui ont donné lieu aux arrêt, commentés dans ce blog.
Cass. civ. 1ère, 8 novembre 2017, n° 16-18859
LA COUR (…) :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l’article L. 2224-12-1 du code général des collectivités territoriales, créé par la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, ensemble l’article 2 du code civil ;
Attendu qu’aux termes du premier de ces textes, toute fourniture d’eau potable, quel qu’en soit le bénéficiaire, fait l’objet d’une facturation au tarif applicable à la catégorie d’usagers correspondante ; que les collectivités mentionnées à l’article L. 2224-12 sont tenues de mettre fin, avant le 1er janvier 2008, à toute disposition ou stipulation contraire ;
Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que, suivant acte du 16 septembre 2006, M. X... et Mme Y... ont fait l’acquisition d’une maison d’habitation située sur le territoire de la commune du Barroux (la commune) ; que, soutenant que les stipulations de la convention du 1er février 1932, aux termes de laquelle la commune avait accordé à leurs auteurs un droit d’eau, étaient devenues caduques par l’effet d’une délibération du Syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux du 31 octobre 2013, prise en application de l’article L. 2224-12-1 du code général des collectivités territoriales, la société Lyonnaise des eaux France, désormais dénommée Suez eau France, délégataire du service public de distribution d’eau potable, a saisi la juridiction de proximité aux fins d’obtenir le paiement d’un solde de factures impayées ;
Attendu que, pour rejeter sa demande, le jugement énonce que, si l’article L. 2224-12-1 du code général des collectivités territoriales prévoit que toute fourniture d’eau potable fait l’objet d’une facturation, la loi nouvelle ne s’applique pas aux conditions d’un acte juridique conclu antérieurement et que, même si elle est d’ordre public, cette loi ne peut frapper de nullité les actes définitivement conclus avant sa promulgation ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la loi nouvelle enjoint expressément aux communes de mettre fin, à compter du 1er janvier 2008, aux stipulations contraires à l’obligation de facturation de la fourniture d’eau qu’elle édicte, de sorte qu’elle s’applique aux effets futurs des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il rejette la demande de renvoi devant le juge d’instance formée par M. X... et Mme Y... en application de l’article 847-4 du code de procédure civile, le jugement rendu le 19 avril 2016, entre les parties, par la juridiction de proximité d’Orange ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d’instance d’Avignon ;
Condamne M. X... et Mme Y... aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille dix-sept.