Machines, robots et personnes au travail
De l'esclave au Robot singulier
Séminaire de recherche du Centre de droit de la consommation et du marché (UMR-CNRS 5815 Dynamiques du droit), sous la direction de Daniel Mainguy
Séminaire 1 (ingéniérie) 30 mars 2016 faculté de droit, Bat. 1, 2ème étage, Salle de réception
L’homme, pour ses activités professionnelles, ménagères, de travail, de loisir et de défense, accomplit diverses tâches. Pour les mener à bien, il se procure et utilise, et depuis toujours, des outils. Certains sont des outils non-vivants, qu’il fabrique lui-même pour ses besoins, de la roue à l’ordinateur ou au robot, c’est-à-dire de simples instruments manufacturés destinés à être utilisés manuellement, soit des machines plus complexes dotées d’un dynamisme propre, des machines.
D’autres sont des outils vivants. Les animaux employés pour les tâches difficiles, les travaux agraires ou la guerre, mais encore pour les expérimentations scientifiques ou médicales en sont un parfait exemple.
Mais l’outil vivant est aussi humain, utilisé sous la contrainte, à travers la figure de l’esclave, ou employé en vertu d’un contrat de travail voire d’entreprise.
Les machines, puis les robots, ne sont qu’une forme, très aboutie, très technologique, de ce type d’outils où, en outre, l’outil a ceci de particulier qu’il est en mesure de ressembler à l’homme, voire de le dépasser. Au-delà du « point de singularité » (Cf. Infra) où l’homme sera capable de fabriquer un ordinateur aussi, puis plus, intelligent que l’homme, quelles ont été, sont ou seront les places respectives de l’homme et de la machine ?
La littérature et le cinéma sont friands de ce thème, nourrit parfois de manière très réaliste, par exemple à travers les « trois lois de la robotique », d’Asimov »[1] dont les défauts ou les imperfections illustrent d’ailleurs le problème de la cohérence et du caractère complet des lois, en général, au-delà des prédictions apocalyptiques de 2001 l’Odyssée de l’Espace par exemple.
De très nombreux travaux scientifiques ont été consacrés au sujet des robots, ou aux machines, dans tous les domaines des sciences « dures » ou des sciences humaines et l’approche juridique n’est pas en reste, ne serait-ce que pour approcher les questions, globalement tranchées du droit de l’esclave, du droit du contrat de travail, de la responsabilité du fait des machines, etc., ou pour tenter de projeter ce que pourrait être un droit des robots (Comp. récemment : BENSOUSSAN, Alain, «Droit des robots: science-fiction ou anticipation?», D. 2015, p. 1640 ; LOISEAU, Grégoire et Matthieu BOURGEOIS, «Du robot en droit à un droit des robots», JCP G, 24 novembre 2014, n° 48, p. 1231 ; NEVEJANS, Nathalie, Traité du droit et de l'éthique de la robotique civile, LEH, à paraître, 2016 ;Les robots: tentative de définition, Editions Mare et Martin, à paraître, 2015).
Toutefois, l’objet de la présente étude ne consiste pas à considérer les robots dansun temps donné et limité, le temps d’aujourd’hui ou le temps de demain, mais dans le long temps del’histoire des hommes et des outils ou des machines, considérées comme des outils d’assitance de l’homme, de l’esclave au robot dépassant le « point de singularité », le robot singulier, pour tenter de présenter les problèmes rencontrés, les constantes ou les différences, par exemple, s’agissant de la crainte liée à la singularité du robot de demain, à comparer avec le traitement de l’esclave et de la révole des esclaves.
C’est la raison pour laquelle cette réflexion collective se souhaite interdisciplinaire et se présente de manière chronologique, de l’esclave au robot singulier, en passant par les différentes étapes correspondant aux différents « types » de machines. , à travers quatre thèmes L’homme maître et l’homme esclave (I), La machine, le machinisme (I), L’automate, machine assistante de l’homme (III) et Le robot singulier, le dépassement de l’homme (IV), chacun comprenant un ensemble de propositions de rapports ou de communications, qui ne sont ici présentés qu’à titre indicatif, chacun pouvant être divisé, partagé, amendé, etc.
I. L’homme maître et l’homme esclave
La relation de l’homme et de l’esclave est un préalable à étudier, car elle recèle des expériences sociales et juridiques aptes à comprendre les enjeux de la relation homme-« outil humain » et plus précisément les implications de cette assistance dans l’exercice des différentes tâches de la personne voire l’hypothèse du dépassement du maître par l’esclave à travers le problème de la révolte des esclaves (thème 1). Ce thème 1 peut ainsi être l’occasion de deux rapports, l’un sur la relation juridique homme esclave¸ l’autre sur le problème plus pointu de la révolte des esclaves.
La dichotomie entre ces outils vivants et non vivants est bien établie. Pourtant, les évolutions scientifiques et techniques amenuisent de plus en plus la frontière entre ces deux catégories.
II. La machine, le machinisme.
L’outil-machine, à supposer qu’on puisse en dater l’origine, disons à partir du moment où l’outil-machine est susceptible d’être doté d’un « dynamisme propre » disons d’un moteur, a déjà été à l’origine d’une mutation considérable du droit. Disons que ce sont des machines de « première génération » (la séquence étant alors à valider). C’est le cas du métier à tisser, des hauts fourneaux ou du marteau pilon, et plus globalement des machines des usines ou des machines proprement dites, les automobiles, les bateaux à moteur, les avions, les trains, etc. Les premiers ont été l’occasion de l’ « invention » du contrat de travail. Celle-ci passe par la transformation et l’inversion des rapports juridiques dans ce qui était, en 1804 et avant le contrat de « louage d’ouvrage »,où l’ouvrier mettait à disposition son ouvrage, son industrie, sa force de travail. L’outil juridique est devenu un système où l’ouvrier passe sous la sujétion de l’employeur, via le « lien de subordination » voire une forme moderne et civile d’esclavagisme (avec ses propres contradictions, comme celle du salarié dirigeant, et ses révoltes). Les seconds ont été à l’origine du bouleversement du droit de la responsabilité vers l’épanouissement de la responsabilité du fait des choses.
Or l’apparition de ces machines a été non seulement concomitante de l’évolution du droit positif - en tant que les règles ont changé, de la nature du contrat de louage d’ouvrage, à la question de l’abus de droit (de licencier), à celle de la responsabilité - mais également de la « crise de l’interprétation » dans la mesure où la question s’est posée de la méthode à retenir pour que ces modifications juridiques devinssent possibles. Ce thème 2, la machine, le machinisme, peut ainsi être l’occasion de plusieurs rapports, l’un sur la transformation du louage d’ouvrage en contrat de travail, un autre sur les conséquences du machinisme dans le droit de la responsabilité, et un troisième sur la crise de l’interprétation, conséquence du machinisme ?
III. L’automate, machine assistante de l’homme
Succède, ou plus exactement s’ajoute, à ces machines de première génération, une seconde génération de machines, marquée par leur autonomie. Ce sont des machines désormais capables de réagir à leur environnement et de réaliser de manière automatisée des taches préprogrammées, mais sans intervention de l’homme ou avec intervention faible, dans leur fonctionnement propre. L’image des années cinquante ou soixante et le développement des usines automobiles automatisées se présente mais plus globalement, cela recouvre l’ensemble des activités automatiques. La grande différence avec les machines de première génération tient à ce qu’elles associent une logique hardware, le robot proprement dit, mais également des techniques de calcul automatique et rapide, des ordinateurs, et, donc, une logique software, le logiciel ou l’application. Les automates, les robots (et non plus simplement des machines) commencent ainsi à remplacer l’homme dans ses tâches répétitives, ce qui marque l’entrée du robot dans l’usine et parmi les hommes. Le robot devient ainsi un véritable assistant de l’homme et peut s’affranchir de son contrôle systématique, pour obtenir une quasi-autonomie : c’est le cas des modes de transport automatiques, des systèmes experts notamment dans la finance mais encore dans la distribution des produits[2], mais encore des drones, de la vidéosurveillance - voire de la surveillance tout court - de l’utilisation de ces données, le big data. Ce thème 3 peut être l’occasion de présenter, notamment, un rapport sur la place des automates dans les relations de travail, mais encore de la question des conséquences juridiques de l’autonomie de la machine.
IV. Le robot singulier, le dépassement de l’homme
Une troisième génération de machines est à venir, ou est en cours d’apparition. Jusqu’à présent, en effet, le maître de l’outil dispose d’une faculté, plus ou moins brutale, pour se débarrasser de son outil, du massacre des esclaves au licenciement jusqu’à la simple faculté de débrancher la machine.
Une troisième génération peut naître à partir du « point de singularité », au sens où l’envisage notamment Ray Kurzweil, le « futurologue » de Google X, à partir des Lois dites « de Moore ». Celles-ci considèrent que depuis l’invention du microprocesseur, la puissance de ces derniers se multiplie par deux tous les ans ou tous les dix-huit mois tandis que son prix se divise par deux dans le même temps. Cinquante ans plus tard, aujourd’hui, cela fait dix ans que Deep Blue, le supercalculateur d’IBM a battu le champion d’échecs Kasparov, des robots émergent un peu partout, et pas seulement comme objet de recherche ou de films d’anticipation. Ces « robots », au sens d’Asimov, sont les successeurs des précédents. Les machines connectées, par exemple, sont à la marge des machines de deuxième génération (ensemble qu’elles intègrent cependant : il suffit toujours de les déconnecter). De même la question de l’ « homme augmenté » se situe dans cette marge : un homme doté de membres et organes non humains se présente-t-il encore comme un homme ou déjà comme un « homme-machine ».
Ray Kurzweil considère qu’à ce rythme sera bientôt atteint le « point de singularité », en 2045 selon lui, c’est-à-dire le point où l’homme sera capable de produire un robot, doté d’un ordinateur plus intelligent que l’homme, dépassant l’homme donc. Or, les lois de Moore présupposent que dix-mois plus tard, ce robot sera deux fois plus intelligent et deux fois moins cher, etc. La notion d’ « intelligence artificielle » ne sera, alors, plus un oxymore. Des difficultés nouvelles voient le jour : à supposer que ces robots soient régulés, par exemple via les lois d’Asimov, quelle sera la place juridique de ces robots, mériteront-ils la reconnaissance d’une capacité juridique, d’une personnalité juridique ? Le règne des machines est-il un bienfait ou une nuisance ? Pourra-t-on contrôler les robots, aussi, et bientôt mille fois plus intelligents que l’homme fabriquant des robots toujours plus intelligents ? L’humain deviendra-t-il l’outil vivant des robots ?Un moratoire s’impose-t-il, voire un traité international de non prolifération des robots singuliers ?
C’est aujourd’hui, pour demain, qu’une étude prospective d’un droit éventuellement contre les machines doit être menée.
Ce thème 4 sera ainsi l’occasion d’une réflexion sur le problème de la reconnaissance juridique des non-humains mais encore du traitement juridique de l’antihumanisme robotique.
Il est évident que l’ensemble de ces thèmes renvoie, inévitablement, à des romans, des scénarios de cinéma, de séries télévisées, des bandes dessinées, etc. traitant de chacun de ces thèmes, de Spartacus aux Robots d’Asimov ou au Blade runner de Philip K. Dick et de Ridley Scott en passant par Matrix, Real Humans ou Terminator. D’ailleurs, les plus importantes, ou les plus marquantes de ces œuvres seront étudiées, et présentées par les étudiants du Centre de droit de la consommation et du marché (et de tous ceux qui voudront bien s’y adjoindre).
Thème 1 L’homme maître et l’homme esclave
La relation juridique homme-esclave
La révolte des esclaves
Thème 2 La machine, le machinisme
La transformation du louage d’ouvrage en contrat de travail
Les conséquences du machinisme dans le droit de la responsabilité
La crise de l’interprétation, conséquence du machinisme ?
Thème 3 L’automate, machine assistante de l’homme
La place des automates dans les relations de travail
Les conséquences juridiques de l’autonomie de la machine.
L’homme augmenté ou l’homme machine
Thème 4 Le robot singulier, dépassement de l’homme
La reconnaissance juridique des non-humains
Le traitement juridique de l’antihumanisme robotique
2 Présentation de l’UMR-CNRS 5815 « Dynamique du droit »
Le projet est soutenu par l’UMR-CNRS 5815 « Dynamiques du droit » et par la licence professionnelle "assistant juridique" (LPAJ) du Laboratoire de Droit social.
(1) L’UMR-CNRS 5815 Dynamiques du droit est une Unité mixte de recherche placée sous la double tutelle de l’Université de Montpellier et du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Importante structure de recherche, elle rassemble en son sein 26 enseignants chercheurs, 4 chercheurs, 114 doctorants et 6 personnels administratifs.
L’UMR-CNRS 5815 a souhaité pour le projet 2015-2019 placer l’essentiel de son activité dans le cadre de la thématique Innovation et droit.
Partenaire institutionnel de l’Institut d’Electronique du Sud (UMR-CNRS 5214), la ligne de recherche choisie par l’Unité est fondée sur le traitement de problématiques concrètes et innovantes.
Depuis 2010, l’Unité travaille en partenariat avec l’Agence Nationale de la Recherche sur des projets financés par le Fond Unique interministériel (FUI). Dans ce cadre, l’Unité a pris part à un premier projet portant sur la « géolocalisation par téléphones mobiles » (GELOCOM).
En 2015, un second projet intitulé « Surveillance des zones sinistrées et de personnes par drones » (SOSPEDRO) a sollicité l’expertise de l’UMR-CNRS 5815 afin d’assurer le volet juridique du projet, sous la direction du Professeur Daniel Mainguy. Ce projet de grande ampleur est réalisé en partenariat avec différents acteurs privés, dont l’entreprise THALES Group, spécialisée dans les technologies aéronautiques de défense et de sécurité. Alice Turinetti, post-doctorante, est chargée de la rédaction de la recherche et du rapport.
En septembre 2015, l’UMR-CNRS 5815 a fourni un premier rapport faisant la synthèse de l’environnement juridique européen de l’utilisation des drones. Les premiers résultats obtenus ont attiré l’attention des chercheurs sur l’intérêt d’étendre leur étude à tous les produits robotiques. En effet, les drones, très souvent doués d’autonomie, ne constituent que l’un des exemples visibles du déploiement des machines dans le quotidien des humains et donc dans l’espace juridique. Aujourd’hui, les drones, mais aussi les systèmes experts, les robots humanoïdes, les fonctions algorithmiques, la réalité virtuelle, les nanotechnologies, les voitures automatiques, les robots industriels automatisés etc. Sont les réceptacles d’une intelligence artificielle en construction et bientôt rivale de l’intelligence humaine, c’est pourquoi, leur appréhension juridique et une démarche prospective scientifique font désormais sens.
(2 ) Le projet de manifestation scientifique « Robots, machines, personnes au travail. De l’esclave au robot singulier » est également organisé avec l’aide et le soutien du Laboratoire de Droit social et de la licence professionnelle "assistant juridique" (LPAJ). La participation à l’organisation de cette manifestation présente, pour les étudiants de cette formation, un intérêt pédagogique considérable et leur permet de mettre en pratique leurs connaissances. En effet, les enseignements, qui couvrent toutes les branches principales du Droit, sont organisés de façon à favoriser l'alternance des cours et des activités praticiennes. C’est d’ailleurs pourquoi les auditeurs de la LPAJ peuvent bénéficier de formules de formation en alternance, apprentissage ou contrat de professionnalisation. L'objectif de la LPAJ est de former les assistants juridiques des PME / TPE, ou services juridiques de grandes entreprises, et bien entendu ceux des cabinets d'avocats, études d'Huissier de Justice ou cabinets d'experts-comptables. Certains auditeurs préparent en outre des concours administratifs, notamment le concours des Greffes ou des IRA. Des enseignements et certifications en langues (BULATS) et outils numériques (CII) complètent cette formation.
3 Calendrier prévisionnel du projet
Calendrier des contributions
Au plus tard le 30 novembre 2015 : Les universitaires et intervenants sollicités signifient leur intention de contribuer à la manifestation et communiquent leur projets de thème d’intervention.
Au plus tard le 15 janvier 2015 : première sélection des propositions de communication.
Au plus tard le 29 février 2016 : Les contributeurs envoient une version écrite de leur projet d’intervention orale aux organisateurs du projet et par voie électronique.
Le 31 mars 2016 : « Séminaire de recherche ouvert » autour du thème, Robots, machines, personnes au travail De l’esclave au robot singulier présentation et discussion des propositions des thèmes de recherche, articulation des thèmes.
Fin 2016 :Deuxième Séminaire de recherche ouvert », présentation et discussion des rapports et communication.
Mi 2017 : Publication de l’ouvrage.
[1] 1 Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu'un être humain soit exposé au danger.
2 Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi.
3 Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.
[2]Comp. les techniques d’approvisionnement automatique des distributeurs de boissons ou de certaines grandes surfaces.