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Un homme et une femme
Srebrenica, 6 juillet 1995
29. Comme le soupçonnait Lemercier, Hussein avait fini par se réfugier à Srebrenica. Il pensait y retrouver sa fiancée Souraya et ses sœurs, but de toute l'aventure qu'il avait choisi de vivre et pour laquelle ses soldats, qui pour l’essentiel avaient subi à peu près les mêmes blessures, avaient accepté de le suivre.
Dans la matinée du 5 juillet 1995, Lemercier, Rahya, Bonnard et toute sa petite troupe quittaient Ljuta, franchissaient les montagnes en direction de Srebrenica, laissant Atisevic avec une gourde et quelque nourriture à un poste serbe sur le chemin pour qu’il puisse rejoindre Pale, puis Belgrade. Lemercier avait décidé de ne pas attendre car Hussein et son bataillon avaient près de deux jours d’avance sur lui.
Alors qu'une troupe de quatre ou cinq cents bosniaques ne devait pas passer inaperçu, tout se passait comme s’ils s’étaient évanouis dans la nature. Nul ne les avaient vu passer, nul indice de leur progression vers Srebrenica, si c’était bien vers Srebrenica qu’ils se dirigeaient ! Peut-être était-ce une fausse piste que Hussein avait volontairement laissée à Atasevic avant de partir, pour tromper tout poursuivant éventuel. Lemercier essayait d’éviter de se brouiller l’esprit avec toutes ses questions, en maintenant le cap qu’il s’était fixé : direction Srebrenica, le plus vite possible.
Le convoi de Lemercier allait aussi rapidement qu’il le pouvait, retardé par le mauvais état de la route, bien qu’en ces premiers jours de juillet, le soleil avait bien séché les chemins terreux. Les blindés soulevaient des nuages de poussière qui aveuglaient et asséchaient la gorge des soldats qui étaient aux postes d’observation sur les tourelles, malgré leur lunettes et leurs foulards. Ils étaient également constamment arrêtés par des contrôles bosniaques puis, une fois parvenus dans la zone serbe, après Sarajevo, par d'autres contrôles, serbes cette fois.
Vingt-quatre heures plus tard, Lemercier arriva au nord-est de l’enclave de Srebrenica, à quelques kilomètres du petit village de Nova Kasaba. Presque en vue de Srebrenica. C’était le matin du 6 juillet 1995. Un important barrage serbe, plusieurs chars, des dizaines et des dizaines de soldats sales et débraillés, le fusil en bandoulière barraient la route, faisant signe, menaçants et mauvais, à Lemercier de faire demi-tour. L’endroit puait la guerre. On entendait les chars et les canons bombarder la ville du haut des collines. On devinait les hurlements des civils sous les bombes, comme si les fumées noires qui suivaient les explosions véhiculaient ces cris.
Lemercier n’avait aucun doute sur ce qui allait se passer : les serbes allaient gentiment procéder à leur démentielle épuration ethnique. IL ne se doutait pas qu’il était loin du compte. IL ordonna à sa compagnie de se retirer de quelques kilomètres et parvint à obtenir le général Delouvrier par la liaison satellite sécurisée que lui avait fournie Jestrin. Il l’obtint plus rapidement qu’il ne l’avait escompté. Le général était à son bureau.
— Mon général, c’est Lemercier.
— Lemercier, où êtes vous donc ?
— Au bout de ma route, je le crains, mon général.
— Vous avez retrouvé Hussein ?
— Non mon général. Mais presque. Je suis en principe à quelques kilomètres de lui. Je le piste depuis Konjic. Hussein était bien sur place. A Ljuta, ce petit village voisin de Kalinovic, comme on le pensait depuis le début. Il l’a pris d’assaut puis ravagé le village, il y a quelques jours. Il a tué tous les miliciens serbes qui y étaient stationnés et qui avaient participé à l’attaque de son propre village, au début de la guerre, il y a près de trois ans. Mais tout cela n’a sans doute rien à voir avec une opération terroriste de grande envergure. C’est une simple vengeance. Organisée par une armée privée. Celle de Hussein. Il nous reste maintenant à retrouver Hussein pour mettre un point final à toute cette histoire. Il serait parti vers Srebrenica.
— Srebrenica ? Aïe, aï, aïe…
— Qu’est-ce qui se passe ici, mon général ? Je suis à quelques kilomètres de Srebrenica seulement et je suis bloqué par une importante force serbe.
— Marie est avec vous Lemercier ?
— Euh, oui mon général.
— Elle est avec vous, là ? A côté de vous ?
— Non mon général. Elle est avec mon adjoint. Ils étudient les cartes. On a pas envie de se heurter aux barrages serbes et on cherche des itinéraires dérivés.
— Bon ne lui dites pas que vous m’avez eu. Vous comprendrez plus tard, Lemercier. Mes ordres maintenant. Laissez tomber, Lemercier. Demi-tour. Ils sont en train d’attaquer Srebrenica. La Force de Réaction Rapide n’est pas prête. Les serbes nous ont pris de vitesse. Nos renseignements, via le général Meyer et les troupes spéciales que nous avons sur place, nous indiquent qu’ils se préparent à liquider systématiquement les zones de sécurité. Nous avons averti les bosniaques évidemment. Ils ne peuvent pas faire grand chose et on n’est pas prêt. Ils ont des otages, ils vont prendre les hollandais en otage, on est encore dans le processus des résolutions antérieures des Nations-Unis. Enfin, bref, je ne vais pas vous faire une plaidoirie J’essaie de négocier avec Mladic depuis un mois, j’ai promis qu’il n’y aurait pas de frappes aériennes, mais c’est cuit. On s’est fait avoir, je me suis fait avoir. Retournez immédiatement sur Sarajevo, Lemercier.
— Mais mon général, ils attaquent Srebrenica et on ne va rien faire…
— Laissez tomber, je viens de vous le dire. On voudrait faire quelque chose mais, en l’état de la préparation de cette Force, on ne peut rien faire. L’état major avait prévu d’accélérer sa formation pour être opérationnelle mi-juillet. Quelqu’un a dû trahir et vendre la mèche aux serbes. Ou bien ils ont décidé de nous défier avant qu’on puisse vraiment réagir. Ce n’est pas moi qui donne l’ordre. Je ne fais que transmettre. Et je peux vous dire qu’à Paris, ils sont furieux de ne pouvoir agir. Il y a des hollandais sur place. La plupart ont été capturés par les serbes et ont été conduits vers une localité voisine, Bratunac je crois. J’ai demandé des frappes aériennes. On va les bastonner. Mais les renseignements que Meyer m’a confiés ne sont guère encourageants. Les serbes semblent avoir pris en compte l’hypothèse de ces frappes et avoir décidé de passer outre. Je crois vous avoir tout dit, Lemercier. Demi-tour, mon vieux, immédiatement.
— Bien, mon général. A vos ordres, mon général.
— Non, non Lemercier, ce n’est pas sur ordre, c’est par dépit.
*
Srebrenica, 18 septembre 1995
Depuis, les serbes avaient été vaincus et on avait découvert une partie de ce qui s’était passé à Srebrenica par des serbes qui avaient disposé de plus d’une quinzaine de jours pour accomplir paisiblement leur minutieux travail d’épuration ethnique, par l’exil ou par le fusil. Depuis, les serbes avaient pris Zepa fin juillet 1995, puis avaient attaqué Gorazde, et avaient tenté d’assiéger Bihac et maintenu leurs attaques sur Sarajevo. Mais les forces gouvernementales étaient parvenues à briser l’offensive sur Bihac et la Force de Réaction Rapide avait enfin été constituée, permettant aux légionnaires français et aux troupes de marine d’ouvrir un corridor vers Sarajevo à travers le Mont Igman, suivant les traces que Siautelle, ses canons et ses hommes avaient victorieusement tracées.
Lemercier s’était concentré sur les recherches que le général Delouvrier lui avaient demandées, à Srebrenica. Samir, le jeune bosniaque que Lemercier et ses hommes avaient capturé près du charnier, plus d’un mois après l’attaque serbe, et qui s’était annoncé comme l’ancien radio du commandant Hussein, n'avait pas bougé. Il se tenait accroupi, devant le feu, une tasse de café dans les mains. Marie le couvait du regard. Un peu d’humanité, de féminité plus exactement, lui paraissait aussi nécessaire qu’un peu d’eau. Ce garçon était en situation d’affectio-déficience chronique majeure. Comme s’il avait traversé un désert de merde, de boue, de mal, de violence pure. Ce seul regard semblait lui redonner quelques couleurs, faire travailler à nouveau les fins muscles qui permettaient de sourire. Il fallait qu’elle fasse attention. Il risquait des courbatures maxillaires.
Lemercier regardait Rahya, songeant toujours à la révélation que le jeune garçon leur avait faite : il avait été le radio du commandant Hussein. Lévesque était allé chercher du café. Il allait faire jour bientôt. La section du lieutenant Gasull venait d'arriver de Srebrenica, accompagnant deux engins du Génie munis de pelles mécaniques chargés de déterrer les corps. Ils venaient d’arriver avec le superintendant Donahue chargé de l’enquête pour le tribunal pénal international, bien que celui-ci n’ait pas encore officiellement donné son accord pour se rendre sur les lieux, et de médecins. Donahue hurlait et trépignait parce que Lemercier ne s’était pas déplacé pour l’accueillir. Lemercier avait décider de l’ignorer. Ce n’était pas sa mission. Il était chargé de résoudre les assassinats de Paris et de retrouver la trace de Hussein. Pas de jouer les détectives vertueux pour effacer la honte des crimes de Srebrenica, dont toute l’Europe tairait le nom pour ne pas en assumer la charge. De gros 4x4 suivraient, transportant les équipes de médecins et les autres enquêteurs du tribunal pénal international de La Haye qui devaient les inspecter. Nul ne doutait des résultats de cette inspection. Les témoignages des quelques rescapés étaient suffisamment éloquents. Il avait décidé de ne pas subir une seconde de plus les invectives de ce Donahue et de l’envoyer se faire foutre. C’était encore le plus simple. Rien ne comptait plus pour Lemercier que de connaître le sort d'Hussein. Avait-il réussi à pénétrer dans Srebrenica encerclée par les forces serbes au moment où il s’était présenté devant la ville ? Qu’était devenu son bataillon ? Avait-il retrouvé sa fiancée finalement ? Et, surtout, était-il resté à Srebrenica ? Avait-il pu échapper au massacre ?
Lemercier quitta ses pensées rétrospectives et se tourna vers Samir. Il l’imaginait comme la clé de toute son enquête.
— Samir, tu es sûr de ce que tu avances ? Tu étais avec le commandant Hussein ? Qu'est-il devenu ? Il est encore à Srebrenica ? Il a réussi à s'évader ?
C'était vraiment trop de questions trop vite égrenées. Bonnard poursuivait son opération de psychologie visuelle.
— Lévesque, allez chercher l'interprète, s'il vous plaît.
Ils avaient déniché dans la troupe un légionnaire originaire de Croatie. C'était déjà un miracle qu'il n’ait pas déserté, comme l'avaient fait certains, pour rejoindre les diverses unités croates où un grade plus élevé que le sien lui aurait été promis. Mais il préférait la Légion à la Croatie. Legio patria nostra. Il s'apprêtait à rentrer en France, avec son régiment, son temps de séjour achevé. Il en avait fêté la fin avec ses copains et l'avait un peu trop arrosée. De retour à son casernement, il avait rencontré des marsouins, ceux du régiment dont on avait tiré la compagnie de marche confiée à Lemercier. La rencontre avait dégénéré et s’était terminée en bagarre monstre, chaque camp désirant bestialement prouver qu'il était le plus fort, de la meilleure arme. C'était une vieille histoire entre la Légion et les Troupes de Marine. Une vieille et primaire histoire de virilité aussi. Les marsouins s'en était bien tirés, les légionnaires aussi, sauf celui-ci. Il s'appelait Bocic, légionnaire Bocic. La police militaire l'avait retrouvé sur les lieux de la rixe, étendu par terre, saoul ou assommé. Ou les deux. Il avait été conduit au poste de l'officier de permanence qui l'avait enfermé dans une pièce. Il commençait à dessaouler au moment où Lemercier, qui venait de recevoir l’ordre de commander sa compagnie, parvint chez l'officier de permanence pour savoir si le général Delouvrier était arrivé. Pendant que l'officier de permanence racontait l'histoire de Bocic, Rayha avait pensé qu'ils auraient vraisemblablement besoin d'un interprète. Lemercier parvint à convaincre l'officier de permanence de conserver Bocic au frais quelque temps, sachant qu'il serait puni de toute façon. Puis Lemercier réussit à plaider sa cause auprès du général pour qu'il lui soit affecté. Bocic fut donc puni en se voyant confier la charge d’interprète auprès du commandant Lemercier. Cuisante punition ! Elle lui permettait de demeurer quelques semaines ou quelques mois supplémentaires en opération, avec un rôle reposant pour cette bête de guerre.
— Légionnaire Bocic, à vos ordres mon commandant.
— Assieds-toi légionnaire et traduits.
« Demande-lui s'il connaît le commandant Hussein et s'il sait ce qu'il est devenu.
Bocic traduisit la question de Lemercier au garçon qui parut surpris puis méfiant.
— Il demande pourquoi vous voulez le savoir, mon commandant.
— Dis-lui que j'ai beaucoup entendu parler d'Hussein comme d'un grand soldat et d’un grand commandant. Dis-lui aussi que je cherche à le rencontrer depuis la bataille de la Neretva, à Ljuta où il a vaincu les serbes du commandant Basilevic et depuis la mort du colonel Talic, à Paris, il y a deux mois.
— Il dit que si vous savez pour Paris, pour Talic et pour Basilevic, c'est que vous ne voulez pas du bien à Hussein, mon commandant.
— Si. Dis-lui que je cherche simplement à comprendre. Pas à l'arrêter ou le juger. Je suis venu de France simplement pour comprendre.
— Il n'a pas l'air très convaincu, mon commandant, si vous me permettez, osa Bocic. Vous savez, ici, tous ces bosniaques, ce sont rien que des paysans des montagnes.
— Passe-moi tes remarques, veux-tu, légionnaire ? répondit Lemercier. Repose-lui la première question , mais ajoute que je ne lui veux aucun mal, que si je lui voulais du mal, j'aurais raconté à mes supérieurs ce qui s'était passé dans la vallée de la Neretva.
Samir avait toujours l'air aussi sceptique mais l'argument semblait l'avoir frappé autant que le fait que Lemercier semblait savoir tout ce qui s'y était déroulé.
Il réfléchissait. Au bout de quelques minutes, il se leva.
— Il dit qu'il veut bien parler d'Hussein mais uniquement au commandant Bonnard. Mais il veut bien que vous écoutiez, vous, le lieutenant Rahya, Farida parce qu'il est musulman et moi comme interprète. Il dit que si vous êtes d’accord, vous devrez le suivre quelque part, pas loin il dit, pour qu’il vous montre quelque chose en rapport avec Hussein. C’est pas très clair. J’irai pas à votre place, mon commandant.
« Diable, pensa Lemercier. Et si c'était un piège ? Après tout si ce garçon a pu survivre au massacre de Srebrenica, d'autres ont pu l'imiter et pourquoi pas Hussein lui-même et certains de ses soldats ? De toute façon, le reste de la compagnie ne serait pas très éloigné. Lévesque comprendrait qu'il devait se préparer à affronter n'importe quelle situation.
— D'accord, dit-il à Samir, nous te suivons.
*
Bonnard emprunta le chemin suivi par Samir dans la forêt qui contournait Srebrenica par le sud. Lemercier, Rahya et le légionnaire Bocic, qui caressait son Famas prêt à tirer à la moindre menace, les suivaient. Samir marchait du pas d’un vieux marcheur malgré son jeune âge, le dos légèrement rond, le pied sûr, avançant d'une allure régulière, soutenue sans être rapide. Il semblait être plus rassuré maintenant. Il tournait régulièrement la tête vers Bonnard comme pour se ressourcer dans son regard profond et dans le sourire qui ne la quittait pas. Il dit quelque chose à Bocic.
— Que t'a-t-il dit ? demanda Lemercier.
— Que vous pouvez appeler les soldats pour signaler votre position si vous voulez.
Lemercier s'abstint, pour lui montrer qu'il comprenait la confiance qu’il lui marquait. Samir les conduisait vers une petite bicoque perdue au milieu de la forêt et qui, curieusement, ne semblait pas avoir été découverte par les serbes. Parvenu devant la masure, Samir se retourna :
— Commandant, commença-t-il, il faut vous jurer.
— Quoi donc, Samir, répondit-il un peu surpris qu'il se mette à nouveau à parler français alors qu'il avait demandé à Bocic de les accompagner.
— Il faut jurer vous pas emmener commandant Hussein.
— Comment ? Lemercier se dressa tentant d'observer derrière Samir, Hussein est ici ?
— Non pas ici mais oui il est ici. Mais vous jurer d'abord.
— Tout ce que tu veux.
— Non vous jurez. Dites je jure.
— Très bien, dit-il en haussant les épaules, je jure que je n'emmènerai pas Hussein et que je ne ferai rien pour le contraindre de me suivre. Maintenant ouvre !
— Voilà le commandant Hussein et Souraya sa femme, dit-il en ouvrant la porte, découvrant deux tas de terre creusés dans le sol de la bicoque.
— Mais ils sont morts ! Morts et enterrés!
— Je jamais dis eux vivants!
— Mais quand et comment sont-ils morts ? Et qui les a enterrés ici ?
Samir répondit.
Bocic dut à nouveau traduire, en maugréant et sans lâcher son arme.
— C'est moi qui les ai enterrés ici. Le commandant me l'avait demandé, en attendant la fin de la guerre pour les ramener dans leur village. Le commandant avait réussi à entrer dans Srebrenica avec quelques uns de ses soldats. Et nous nous sommes mis à la recherche de sa femme. Depuis longtemps, nous avions admis que faire la guerre aux serbes signifiait aussi retrouver Souraya, sa fiancée, mais aussi ses sœurs, les nôtres, celles de beaucoup de soldats du bataillon. C’était devenu le but de guerre du commandant et de tous les soldats du bataillon. Il nous a fallu presque deux jours pour la retrouver avec les sœurs du commandant. Elles se terraient dans les faubourgs de Srebrenica. Il faut dire qu'elles avaient tout subi des serbes. Le commandant a alors voulu vivre avec sa femme comme si la guerre n'existait pas. Ils se sont mariés le jour de l’attaque serbe sur Srebrenica, le 6 juillet 1995. Quand les serbes ont attaqué, le commandant a organisé la résistance mais nous n'avions pas assez d'armes. Alors nous en avons volé aux casques bleus, les hollandais, avant qu’ils soient pris en otage par les miliciens. Nous savions qu'ils voulaient prendre Srebrenica car Mladic conduisait la bataille et il voulait humilier et défier les casques bleus, l’ONU, les américains et les anglais et les français. La ville a résisté cinq jours. Beaucoup sont morts. Les serbes bombardaient la ville qui étaient pleine de réfugiés dans les rues, sous les yeux des casques bleus. Mais pas le commandant Hussein. Ni sa femme. Après que les serbes ont pris la ville, ils ont commencé séparer les hommes d’un côté, tous ceux qui avaient plus de seize ans, et les femmes et les enfants de l’autre. Et ils ont commencé à tuer les hommes. Ils avaient parqués des gens dans la Maison blanche et dans un hangar près du camp des hollandais, à Potocari. Ils en ont tué à coup de barre de fer près de cinquante. Comme ça, juste pour s’amuser. Les femmes et les enfants sont montés dans des bus. Hussein pensait qu’ils emmenaient les femmes chez eux, dans des bordels, et qu’ils allaient tuer les enfants ou les donner à des serbes et vendre les autres sur le marché, occidental, de l’adoption d’enfants. Il a réussi à s’échapper de l’encerclement avec sa femme. Beaucoup d’autres se sont échappés. Mais pas longtemps. Les serbes ont tués plein d’hommes au fusil. Ensuite seulement, je me souviens le jour, c’était le 14 juillet, comme votre fête nationale en France, il ont rassemblés les hommes à la Ferme de Branjevo et ils les ont tués systématiquement. Comme les nazis pendant la guerre. Tous les autres sont morts dans ces collines, au fond de ces bois.
Hussein et Souraya sont venus ici et ils ont mangé un repas avec du poison et ils sont morts, ensemble. Le lendemain je les ai enterrés dans la maison. Nous avions juré de défendre cette maison contre toute attaque des serbes. Ils ne l'ont jamais trouvée. Mais tous les autres combattants, mes camarades, sont partis ou sont morts. Moi, je suis resté. Je ne savais pas pourquoi. Maintenant que je vous ai rencontré, je sais pourquoi. Bientôt, je pourrai retourner la terre et les emmener dans leur village, près de Konjic.
— Konjic ! Et ce village, Ljuta, qu’il avait sauvagement détruit, en massacrant les serbes qui le défendaient, était donc bien son village.
— Ljuta, c’était le village de Souraya et Jelasca, c’était, à côté, celui de Hussein. Les serbes avaient tué tout le monde là-bas, au début de la guerre. Hussein et son frère Josip s’en étaient échappés.
— Je comprends mieux maintenant, murmura Lemercier. Je ne t'empêcherai pas de les emmener, Samir. Mieux même, je t'obtiendrai un sauf-conduit pour que tu puisses t'y rendre sans encombre dès que possible.
— Merci commandant. Il mit la main dans sa poche et en sortit un objet. Il se tourna vers Marie.
« Tenez, pour vous remercier, c'était la chose à laquelle il tenait le plus avant de retrouver sa femme. Il n'en avait plus besoin. Souraya la tenait de la mère. Il l’avait récupérée dans les décombres de Ljuta. Et il me l'avait donnée. Je pense qu'il serait heureux que vous la possédiez désormais.
Samir remit l'objet dans la main de Marie. Elle ouvrit lentement sa main, sourit. Et le donna à Lemercier en le regardant comme si elle l’embrassait. Lemercier rougit, ouvrit la main, découvrant un bijou.
Une petite croix verte. Une petite croix de malachite aux pattes enflées.
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