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L'Hallali
Ljuta, 30 juin 1995, 6h30
26. Face à ses officiers, Basilevic, qui avait maintenant complètement dessaoulé, fulminait, insultant tour à tour ceux qu'il tenait pour responsable du désastre, incapable de juger sereinement la situation pour tenter de réagir objectivement. Le visage bouffi, confit et déformé par la fatigue, le mauvais alcool et la fureur, il vomissait des injures en tremblant, le visage rougi par l'effort au point de faire jaillir les veines de ses tempes écarlates.
Soumises et désabusées, aucune de ses victimes du moment n'envisageait seulement de répondre en offrant une solution. Pas même son adjoint, qui le suivait et le connaissait pourtant depuis le début de la guerre. Tous baissaient la tête, attendant que l'orage passe, subissant l'affront sans réaction.
*
Dans une pièce voisine, le colonel Atisevic revenait d'une petite tournée dans le village dévasté par les tirs de mortiers que l'ennemi lançait sans discontinuer, contribuant à accroître la panique qui s'emparait curieusement de ses soldats qui se croyaient invincibles. Il s'était réveillé un peu avant cinq heures et avait été surpris par les tirs et la soudaine brutalité des explosions. S’habillant à la hâte, il était sorti jusqu'aux avant-postes d'où il avait pu observer la progression des soldats d'Hussein en accompagnant un jeune officier serbe qui se démenait, sans succès, pour faire manoeuvrer ses soldats. De toute manière il était déjà trop tard. Ils étaient visiblement cernés. Ils n'avaient aucune chance de s'échapper de la nasse tendue par les bosniaques, sauf à tenter une percée. Mais l’inefficacité défensive qu’il constatait rendait peu probable son succès. Ils ne pouvaient pas non plus espérer un quelconque secours d'autres troupes serbes situées à plusieurs kilomètres de là, à l'est de Konjic sur le plateau de Kluna où elles étaient harcelées depuis déjà plusieurs jours par les forces gouvernementales. Jamais les serbes n'avaient réussi à prendre Konjic qui pourtant leur aurait donné les moyens de couper la principale route d'approvisionnement des bosniaques. « Mais ils ne s'en sont jamais donné les moyens », songea Atisevic. Grossière erreur. Mieux valait cette ville que toutes les enclaves de sécurité qui de toute façon seraient tombées un jour ou l'autre dans leur escarcelle au cours des négociations de paix. Mais Karadzic, et surtout Mladic qui était né à Kalinovic à quelques kilomètres, préféraient jouer aux maîtres du monde en défiant les casques bleus.
Il n'y avait rien à attendre non plus de la ville de Kalinovic où la garnison avait été réduite à quelques dizaines d'hommes. La ville avait toujours été en zone serbe. Fort de ses succès passés, son commandement s'était imaginé que rien ne pourrait se produire à leur encontre et qu'ils pouvaient prélever des soldats pour les diriger vers Sarajevo, où les combats contre les troupes gouvernementales qui ne s’étaient jamais vraiment arrêtés, allaient reprendre en force.
Ayant constaté l'incompétence des troupes serbes qui l'entouraient, Atisevic devait bien conclure que la situation était presque désespérée, sauf à croire en un incroyable retournement de situation, supposant une vigueur des troupes serbes qu'il n'avait pas repérée. Tout était une question de temps et de capacité de résistance des soldats. Revenu dans sa chambre, il s'apprêtait à faire son entrée dans la salle de conférence de Basilevic, du moins dès que la tempête dont les échos lui parvenaient distinctement serait passée.
Estimant que le ton de l'algarade baissait d'intensité, il frappa et pénétra dans la pièce avant qu'on l’ait invité à entrer comme il aimait à le faire lorsqu'il voulait marquer sa supériorité. Basilevic se retourna, le visage encore marqué du masque de sa folie irascible et bredouilla un vague salut en adoptant une position un peu plus rigide sans qu'il s'agisse véritablement d'un honnête garde-à-vous.
— Eh bien commandant, reprenez-vous !
Atisevic crût que l'autre allait s'étouffer. Rectifiant son attitude sans toutefois réussir à n'être autre chose que la brute déguisée qu'il était, tant son visage respirait la haine, la bassesse que traduisaient la saleté de sa tenue, ses joues approximatives, le nez trop rouge, les cheveux trop longs et trop en bataille pour être ceux d'un militaire fier et sûr de lui. Il n'eut pas le temps de ruminer sa haine pour le fier officier que se tenait devant lui et qui le narguait de sa prestance, de son allant. Des explosions résonnèrent autour de la maison qui lui servait de poste de commandement faisant jaillir des plafonds des pluies farineuses et provoquant une danse joyeuse de tous les objets qui n'étaient pas sérieusement fixés ou suffisamment lourds pour résister aux tremblements provoqués par les explosions qui se rapprochaient.
— Mon cher commandant, que comptez-vous faire, maintenant ? demanda Atisevic.
— Que voulez-vous que nous fassions, colonel ? Nous allons nous défendre. Après tout, nous sommes du côté serbe, du côté des vainqueurs, n'est-ce pas colonel ?
Atisevic n’insista pas. Si la situation était perdue, Basilevic pouvait fort bien lui mettre une balle entre les deux yeux, par dépit, par vengeance ou par stupidité. A moins qu'Atisevic ne prenne les devants. Mieux valait voir venir et il préférait être blessé ou tué à l'air libre que prisonnier des décombres d'une maison écroulée sur sa tête.
— Vous avez raison commandant. Je vous laisse faire, je ne veux pas intervenir dans votre commandement. Permettez-moi simplement de me rendre dehors pour observer l'avancée des bosniaques.
— Faites à votre guise colonel répondit Basilevic, trop heureux de se débarrasser à si bon compte de cet encombrant critique.
« Et puisse le diable faire que tu prennes un obus dans le cul, fils de pute » songea-t-il, en saisissant son casque pour se rendre à la tête de ses troupes en déroute.
(...)
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