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Les canons de Siautelle
Sarajevo, 13 juin 1995
Lemercier et Rahya n'avaient pu qu'embrasser rapidement Sophie et Natacha avant qu'elles ne repartent sur Paris via Zagreb. Lemercier s’en trouvait soulagé, tout en se reprochant sa lâcheté. Natacha avait semblé attendre quelque chose, un geste, un mot tendre, qu’il s’était bien gardé de donner. Le spectacle qu’offraient Rahya et Sophie, en comparaison, était signifiant. Lemercier n’avait pas simplement essayé d’être discret devant Marie Bonnard, il avait tacitement indiqué à Natacha qu’il demeurait libre, que leur aventure cessait ici, même si elle ne semblait pas le désirer. Elle aurait mérité au moins une explication.
A Sarajevo, le branle-bas de combat commençait. Les serbes de Pale se faisaient plus menaçant, coupant les voies d’accès à l'aéroport, asphyxiant la ville, la mitraillant par endroit.
Les alliés réagissaient. Les cris stridents de quelques avions anglais, américains ou français étaient de plus en plus présents au dessus de la ville, parfois accompagnés de tirs de DCA provenant des positions serbes. Partout, les troupes changeaient de couleurs en vue de la création de la Force de Réaction Rapide, mise à la disposition de la FORPRONU.
Ce matin-là, Siautelle rejoignit les deux compères au mess.
— Alors, les mecs, comment s’est passé ce rendez-vous avec les journalistes ?
Lemercier et Rahya se regardèrent, muets.
— Gardez vos petits secrets les gars, je m'en fiche. Mais ici, vous avez vu comme ça bouge. Le p'tit père Chirac veut bousculer les serbes et j'ai l'impression qu'il a réussi à convaincre les angliches et les amerloques. Si vous voyiez mes gars ! En ce moment je leur fais repeindre tous mes canons et tout mon matériel aux couleurs OTAN, « camouflage centre-europe », et dès demain, on vire ces saloperies de bérets bleu ciel. On reprend nos couleurs. Oh, putain, ça va saigner mon vieux, ça va saigner ! Je viens de croiser Faucher. Tu te souviens de Faucher ? Une grande gueule, la promo juste avant nous à Saint-Cyr ! Il était prisonnier des serbes avec une partie de sa compagnie. Il avait dû se rendre alors qu’il gardait des armes lourdes, des canons essentiellement, dans la caserne de Lukavika. Une partie d’entre eux, dont Faucher, ont été libérés et ils ont dû rentrer à Sarajevo par la montagne. Les serbes leur ont interdit les routes et même les pistes du Mont Igman. Tu aurais vu sa gueule ! Et pas seulement parce qu’il va devoir s’expliquer sur les raisons de sa reddition. Mais surtout parce qu’il a été capturé, montré à la télé, attaché comme un moins que rien à une « cible stratégique » comme « bouclier humain », et humilié comme otage, et pour finir libéré avant le reste de ses hommes. Cette honte bue, vomie et réavalée, nous l'avons tous ressentie ici depuis que nous sommes arrivés. Et tu devrais voir la tête de ses gars, l'élite de l'armée française, tous engagés, du colonel au dernier des soldats, dans l'infanterie de marine.
Lemercier et Rahya se doutaient que tous ces soldats avaient subi des moments pénibles, bien plus pénibles qu'un bombardement ou un assaut, pourtant le lot ordinaire de ces guerriers endurcis. Certains avaient vu leurs camarades blessés, d'autres tués, d'autres prisonniers ou pire, otages des serbes et servant de bouclier humain. Faucher lui-même avait dû se rendre avec une section complète, avec armes et bagages sans pouvoir répondre parce qu'il avait reçu l'ordre imbécile de ne pas faire feu sans en avoir reçu le commandement. Les serbes s'étaient approchés du dépôt d'armes lourdes que les hommes de la FORPRONU avaient confisquées après l'affaire du Mont Igman où les serbes avaient interdit tout passage de ravitaillement vers le cœur de Sarajevo, obligeant les convois à passer par les dangereux et escarpés chemins de terre le long des flans de cette montagne. Ils étaient censés les garder contre toute tentative de récupération de leurs belliqueux propriétaires. Dès le début de l’assaut, Faucher avait vu toutes ses liaisons avec ses chefs coupées, l’empêchant de recevoir l'ordre tant attendu, bien avant en tout cas que l'information permettant de recueillir cet ordre ait même franchi les frontières de l'ex-Yougoslavie en direction de Paris, ou de Zagreb ou bien encore de New-York. Qui commandait ? Nul ne le savait. Tout semblait brouillé dans un magma administratif et technocratique lointain. Ces hommes auraient adoré rejoindre des gars comme Siautelle, quitter la FORPRONU abhorrée pour gagner la FRR et avoir l'occasion de se venger. On ne le leur avait pas permis, préférant les remplacer. Siautelle faisait partie des remplaçants.
(...)
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