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Chapitre 10
Caméra cachée
Paris, 6 juin1995, 10h
10. Le téléphone couina sur le bureau de Didier Lavérune, directeur du cabinet du ministre de l’intérieur, quelques minutes seulement après le départ des participants à la réunion qu’il venait de clore. La secrétaire de permanence décrocha et dériva l'appel vers la salle de conférence. Lavérune rédigeait le compte-rendu qu'il devait préparer au ministre au milieu des papiers, des cendriers, des tasses de café et de bouteilles d’eau à demi vides qui recouvraient la grande table, quand le téléphone l'interrompit. Il avait horreur d'être dérangé dans un tel cas, comme si ce bruit métallique pouvait rompre le charme qui opérait sur sa rédaction et sa réflexion, fût-elle consacrée à l'étude des difficultés des plus sérieuses.
D'un geste brusque, il décrocha et son expression passa de l'agacement à la surprise, puis à l'inquiétude. Approuvant les paroles de son interlocuteur par de rares onomatopées, il raccrocha, songeur, remisant ses lunettes d'écaille dans la poche de sa chemise au risque de les égarer et composa le numéro de téléphone du directeur de la DGSE, le général Meyer.
— Mon général ? Lavérune. Du ministère de l'intérieur. Déjà du nouveau à propos de la réunion de ce matin où j'ai pu rencontrer le capitaine Lemercier et son adjoint.
— Lavérune. Bonjour cher ami, répondit le général Meyer, directeur général des opérations extérieures au sein de la DGSE. Vous avez vu Lemercier. Très bon élément. On en ferait un général en moins de deux s’il voulait se décider à se mettre au boulot. Son adjoint également, dites-vous?
— Oui, oui son adjoint. Un garçon charmant, un lieutenant je crois, le lieutenant, comment déjà, un nom malgache ou indien, Rapia, Rabha, Rahya, quelque chose de ce genre. Rahya, je crois.
— Rahya ? Le lieutenant Rahya dites-vous ? Son adjoint ? L’adjoint du capitaine Lemercier. Oui, bien sûr. Je vois, je vois.
— C'est cela même. Son adjoint. Un garçon assez discret. Le lieutenant Rahya, c’est ainsi que me l’a présenté le capitaine Lemercier. Bien, mon général, cela étant je crois que notre mission est déjà commencée. On me signale deux attentats, vous allez sans doute recevoir la copie de la première dépêche diffusée dans l’instant, qui se sont déroulés ce matin même à Paris. Votre secrétaire doit déjà trépigner devant la porte de votre bureau pour vous l’apporter. Le premier a eu lieu place Saint-Michel devant l'immeuble où réside l'attaché militaire serbe. Il y aurait trois morts, dont l'attaché militaire lui-même, le colonel Slavo Talic. C’est un petit nouveau ici, il remplaçait le colonel Atisevic depuis peu, une semaine ou deux. Pas de victimes civiles. Pas de dommages collatéraux comme on dit chez vous. Peu après ce premier attentat, un autre serbe, le commandant Golovic, a été assassiné également. Devant l’ambassade de Yougoslavie cette fois. Au pistolet automatique et silencieux. Deux balles. Du travail propre, professionnel semble-t-il. Ce qui est curieux, c’est que le commandant Golovic remplaçait aussi l'adjoint d'Atisevic qui l'a accompagné en Serbie.
Le général Meyer eut un petit sursaut de surprise. Il ignorait qu'Atisevic fût retourné en Serbie et il en éprouvait quelque satisfaction. Non parce qu’il avait quitté Paris mais parce que ce faisant, il avait échappé à cet attentat. Il avait pu apprécier cet officier serbe qui avait montré beaucoup d'intelligence et de réserve au cours de rencontres officieuses entre diplomates des deux pays et surtout entre pseudo diplomates mais véritables espions, au nom de l'amitié ancienne et profonde qui alliait les deux peuples français et serbes, rencontres auxquelles le général avait été convié en sa qualité d'espion en chef de la République. Son adjoint semblait d'ailleurs en totale communion avec son patron.
Comme l’avait deviné Lavérune, la secrétaire de Meyer entra discrètement dans le bureau et déposa la liasse de dépêches du matin surmontées par celles intéressant les deux attentats, dont elle souligna l’importance au général. Meyer les survola tout en écoutant Lavérune poursuivre. Elles confirmaient presque exactement le rapport fait par Lavérune. Même si la mort de leur remplaçant n'était pas pour le réjouir, il ne parvenait pas à véritablement s'attrister, tant la terrible réputation de Talic et de Golovic, bourreaux de Vukovar et de Bosnie lors des opérations serbes menées entre 1992 et 1994 les avait précédés, où les bosniaques et les croates avaient subi les plus gros revers, et où avait été expérimentée la purification ethnique à la sauce serbe. Le général avait fait dresser par ses services de renseignement leur curriculum vitae dès qu'ils avaient été connus avant de les communiquer aux différents autres services intéressés, DST, ministères, état-major. Il s'était simplement retenu de les envoyer à la presse.
— Merci cher ami de m'avertir. Je vous avais adressé la biographie des ces deux là. Talic et Golovic. Retrouvez-les et lisez-les, je vous prie. Mais assis. Je vous garantis qu'ensuite vous bénirez leurs assassins.
« Je vais moi-même informer Lemercier qui a déjà eu l'occasion de rencontrer Atisevic et peut-être Talic également. Je vous laisse prévenir toutes les autres parties intéressées. A bientôt Lavérune. Merci pour votre appel.
*
Lemercier venait de recevoir un appel l’informant des attentats et se rendait sur les lieux avec Rahya. S’engouffrant dans le métro, il arrivèrent sur place vingt minutes plus tard.
Rahya tentait d’expliquer aux flics de faction qu’ils avaient accès à tout ce touchait à la Défense nationale. Un beau flic. Bel uniforme, oreilles écartées, nez curieux, un profil de personnage de Hugo Pratt, l’embase du nez très haute sur le front, la tombée très droite, les lèvres rectilignes, courtes et pincées, un menton écorné, l’air sombre et plutôt abruti.
— On ne passe pas.
– Mais si, mais si on passe.
– Non, on passe pas.
– Mais si mon tout beau.
— Dites donc, vous. Je suis pas votre tout beau, et d’une. Et deux, on passe pas.
— Mais si on va passer, mon très beau. Tiens, regarde ces jolis badges et ce qui y est écrit. Je t’aide : « accès autorisé à tout site intéressant la défense nationale ». Alors, tu vois, on passe, mon tout beau.
— Connaît pas. Désolé, on passe pas.
Heureusement, Dunod apparut.
— Alors les miloufs, on n’a pas son laisser-passer ? Vous ne savez donc pas que c’est la DST qui est seule compétente sur le territoire national ? Et à Paris on est sur le territoire national vous ne croyez pas ?
— Ecoutez Dunod, répondit Lemercier grinçant, on vient de se quitter de chez le ministre où j’ai retenu plusieurs informations. « Collaboration entre les services » disait-il, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Je crois que je vais appeler Lavérune pour le lui demander.
— Je déconnais Lemercier. Il fit un geste aux policiers de faction pour leur indiquer de laisser passer les deux militaires.
(...)
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