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Menaces
Paris, 6 juin 1995, 9h30
9. Lavérune développa ses arguments pendant près d’une demi-heure. Au goût de Lemercier, ce fut un vrai et beau petit discours de synthèse d'un vrai et beau professionnel de la politique, modèle standard, bien formé à Sciences Po puis à l'ENA pour la conduite des débats, certainement sur n'importe quel sujet et en toute circonstance. Plat mais racé. Et bien dit.
Lemercier, comme beaucoup de militaires, avait une vision assez manichéenne du monde qui l'entourait et avait tendance à observer avec mépris ou condescendance tous ceux qui n'étaient pas dans l’armée, les « pékins » dans le jargon des militaires, ce qui faisait quand même beaucoup de monde. Il classait ainsi les gens par catégorie, la catégorie des médecins, celle des avocats, celles des hommes d'affaires, des ouvriers, lesquelles ne recouvraient pas toujours le contenu que tout un chacun ou les intéressés eux-mêmes auraient retenu. La catégorie qu'il méprisait le plus était celle des politiciens. Non par raison mais plutôt par réflexe. Dien Bien Phu, Suez, les accords d'Evian, le Liban, bien des sujets de frictions divisaient militaires et politiques, voire militaires entre eux, considérant à tort ou à raison qu'ils avaient été trahis par les politiciens en mettant en œuvre les guerres que ces mêmes politiciens leur avaient ordonné de mener puis de cesser parfois en abandonnant les populations locales qui les avaient soutenus et en oubliant les morts des combats menés, conception assez primaires et que ses lectures n’avaient pas totalement chassées.
Lavérune avait développé une analyse des origines du terrorisme, de ses implications en France, de ses réseaux et des menaces existantes. Il poursuivit par l’objet de la réunion du jour.
— J'attends de l'ensemble des services de la Police, de la Gendarmerie et des services extérieurs la cohésion que ce but requiert. Le ministre m'a fait part de la volonté expresse du Président en ce sens.
Le Président ! Le mot magique, la référence suprême, l'allusion sublime était lancée comme pour sanctifier l'instant. Le président venait tout juste d’être élu, il était encore ceint de l’aura quasi-divine que la République accordait au nouveau monarque, Jacques Chirac, l’homme aux pommes.
Lemercier devait malgré lui reconnaître que Lavérune s'en tirait très bien jusqu'à présent. Le chef de cabinet marqua un temps d'arrêt afin que tous retiennent l'importance de ses propos. Il observait sa petite assistance avec délectation, satisfait de son petit effet de scène, jetait un large regard circulaire, un petit sourire supérieur lissant la commissure de ses lèvres pincées, petit coq dans un petit poulailler.
— La France, messieurs, et essentiellement sa capitale, ont subi de nombreux attentats ces dix dernières années provenant d'états ou de groupuscules étrangers, qu'il s'agisse du Hezbollah ou du Djihad islamique libanais, des iraniens, de Carlos, de l'OLP, du FPLP, du FDLP, ou d'Abou Nidal jadis, du GIA ou du FIS algérien enfin, et j’en oublie. Je pense que chacun de vos services a acquis une masse d'informations non négligeable en ce qui concerne les personnels, les armes, les explosifs utilisés et les modes de financement et de recrutement, les contacts avec des groupes étrangers.
Nous craignons aujourd'hui que l'expérience acquise par certains groupes en Afghanistan hier et en Bosnie aujourd'hui ne nous préjudicie demain. Aussi, il est temps de mettre en commun l'ensemble de vos informations au service d'un objectif unique, préserver la sécurité des français et sans doute plus précisément, des parisiens. Je pense qu'il nous faudra créer un fichier informatique qui sera chargé de centraliser en un endroit à définir et utilisable à distance, à partir de vos services, l'ensemble de ces informations. Voilà messieurs pour l’essentiel. Les détails vous seront transmis par note de service, secret défense évidemment, sous huitaine. Des questions avant de poursuivre ?
— Oui, une question. Pardonnez-moi, mais comment concilier des informations résultant de sources différentes ? N'est-ce pas un risque supplémentaire d'évasion de l'information et de ses sources ?
Dunod évidemment. Et l'attaque était lancée contre la DGSE en particulier et Lemercier qu'il n'avait pas quitté du regard en posant sa question et plus généralement contre l’armée dont on soupçonnait, justement hélas, certains membres de sympathies pro-serbes affichées mal venues dans le contexte de guerre en Bosnie. La DST n'acceptait pas de voir ses fonctions limitées à l'intérieur des frontières du pays et la DGSE était encore secouée par l’impact du fiasco de l’affaire du Rainbow Warrior. Les policiers avaient toujours voulu jouer aux petits soldats jusqu’à chercher à leur ressembler sans en subir les inconvénients : uniformes et appellations ronflants, mais 39 heures, en attendant 35, et pause syndicale.
Lemercier était resté silencieux mais il réfléchissait si fort que tout le monde avait compris le fond de sa pensée. Ce n'était pas bien difficile. Il suffisait de mesurer la noirceur de son regard pourtant bleu dirigé vers Dunod.
Lavérune se chargea de répondre.
— Ce n'est pas un problème, commissaire Dunod. Les niveaux de sécurité d'accès aux informations seront révisés à la hausse et l'attribution des habilitations sera contrôlée de façon à sauvegarder ces informations. J'attends vos remarques et vos suggestions. Je voudrais que vous sachiez que nous travaillons actuellement avec les américains. Ils ont une grande expérience du travail en commun entre leurs différents services, la CIA, le FBI, la NSA, la DEA entre autres. Nous travaillons également avec les anglais et les allemands.
Lemercier devait convenir que Lavérune était un homme intelligent et fin. Il s'était très bien sorti des contradictions irréductibles qui opposaient DST et DGSE, gendarmerie et police, justice et police. Dunod et la DST avaient intérêt au statu quo car ils bénéficiaient déjà d'une remontée des informations par la PJ et la Crim, car ces deux services dépendaient comme la DST du ministère de l'intérieur. Insister sur le risque de fuite permettait à la fois de retarder la mise en place du système et de faire porter sur les autres le soupçon d'éventuelles fuites. Lavérune savait tout cela et tenait à ne pas se faire piéger. Le temps où il couvrait sans limite la DST et ses petites combines semblait révolu. Désormais, il fallait faire place à la coopération entre les services compétents, même ceux de la Défense. Du côté des hommes de la DST, cela supposait de tordre le coup à de nombreux réflexes bien ancrés contre tout ce qui ressemblait à un militaire.
Et le Président désirait qu’il en soit ainsi. Il en serait donc ainsi.
— Il y urgence messieurs. Il faut que tout soit mis en place avant la fin de l'année. La France n'a peut-être encore jamais été soumise à un risque d'attentats aussi important qu'aujourd'hui.
Lavérune se tut et parcouru longuement la salle de son regard chargé d'une autorité évidente. Personne ne demanda plus la parole. Il ajusta ses lunettes, prit l'un des nombreux dossiers empilés face à lui et l'ouvrit.
(...)
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