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Avertissement

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« Est-il besoin de préciser que ce roman est une œuvre de fiction même s’il se fond dans une trame historique dramatiquement réelle ? Toute ressemblance avec des personnages ayant véritablement existé ou des évènements qui se seraient vraiment déroulés serait donc purement fortuite, ou alors un coup de chance rare, hormis pour quelques salauds bien connus qui en ont été les acteurs maudits ».

 

  

« Inutile de préciser également que les droits d’auteurs sont protégés et appartiennent à Daniel Mainguy (© 2010) ».

 

« Cet ouvrage est publié sous forme de feuilleton, en ligne, en format .pdf et html ».



 

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Ne pas reproduire sans autorisation : « frappe et on t'ouvrira »

 

 


 



  Sommaire

 

La suite, chapitre 2

   Chapitre 1




   
    Métros matinaux

 

 

Paris, 6 juin 1995, 7h30

 

1. Le RER, comme tous les matins, filait avec son ronronnement malpropre, conduisant son chargement de voyageurs habitués sans qu’aucun ne se regarde ni même se voie. Comme dans tous ces lieux immenses et neutres que sont les aéroports ou les supermarchés, des foules immenses mais aveugles se croisent et s’ignorent, sinon grâce à un langage codé, fonctionnel et froid « merci monsieur, pardon madame », qui n'appelle pas de réponse particulière. Dans la rame dégoulinante de passagers du RER B, ceux qui avaient trouvé une place assise lisaient, d'autres écoutaient un peu de musique, un simple fil pendu à chaque oreille, ou les premières nouvelles du jour sur France Info. Entre la météo et l’évolution du CAC 40, les seules informations un peu intéressantes concernaient les élections municipales imminentes, encore qu’elles ne ménageaient peu de suspens, après l’âpre campagne présidentielle qui avait vu le triomphe de Jacques Chirac dans une campagne haute en couleur. Des affiches fleurissaient un peu partout pour recouvrir les usuelles invitations au voyage, au théâtre ou à l’achat d’un ordinateur qui coloraient les murs des couloirs du métro, pour tenter d’infléchir l’électeur qui devait se manifester une semaine plus tard.

D'autres passagers achevaient une nuit trop courte, les yeux fermés mais le cerveau gardant un sens suffisant pour ne pas louper leur station. D’autres, la plupart, gardaient les yeux ouverts mais mornes et hagards qui ne distinguaient rien d'autre que le voile blanc de leur routine terne et sans intérêt.

Installé au fond de la rame, un homme observait son entourage et notamment trois autres hommes installés un peu plus loin. Cet homme venait de Bosnie, il se nommait Josip Blavic et, malgré son origine visiblement étrangère, il passait inaperçu dans le mélanges des origines que véhiculait le métro parisien. Les trois autres se nommaient Dino, qui se faisait appeler Ibrahim depuis qu’il avait crû découvrir la foi au contact d’un ancien moudjahidine d’Afghanistan, Morislav et Zoran. Josip les connaissait depuis toujours. Trois jeunes hommes d’à peine vingt ans du même village. D’anciens étudiants bosniaques engagés depuis dans la sale guerre de leur pays. Tous les trois avaient connus et subis les violences des miliciens serbes, contre eux-mêmes ou leurs familles, et en retour, pour ne plus subir, ils les avaient combattus, infligeant d’autres violences à leur tour, en un cycle sans fin. La guerre avait effacé toute trace d’innocence estudiantine. Victimes de crimes de guerre, ils s’étaient transformés en soldats, certains en criminels de guerre à leur tour sans, bien entendu, l’admettre. Ils se nommaient combattants de la liberté ou de la fierté bosniaque ou résistants et ces dénominations couvraient toutes leurs actions, même les plus odieuses, réalisées par d’autres ou par eux-mêmes.

Les stations défilaient depuis qu’ils étaient montés dans le RER à Antony. Ils avaient franchi les limites de l'agglomération parisienne depuis quelques minutes. Du passage à la station Cité-Universitaire, ils déduisaient qu'ils étaient entrés dans Paris. En voiture, on pouvait avoir l'illusion ou la sensation de franchir les limites de Paris en sortant du périphérique par la bretelle d'accès à une Porte symbolique que simulait un panneau électronique trônant au milieu d'un carrefour ou d'une place. Mais en métro, on était dans Paris depuis qu'on avait franchi la porte de la rame.

Josip observait Zoran et Morislav. Ils s’étaient habillés comme ces français ordinaires qui chaque jour se rendaient de province à Paris pour conclure quelque affaire, assister à un rendez-vous ou un colloque qui justifierait peut-être un petit week-end à déambuler dans les rues de la capitale, visiter un musée ou une exposition. Ils s’étaient donc habillés simplement, au-delà du standard vestimentaire, mais sans ostentation afin de ne pas attirer l’attention, se fondre dans la foule, inaperçus, inexistants, faire oublier leur teint un peu trop mat, un cheveu un peu trop noir, caractéristique des hommes d’Europe de l’est.

Ils évitaient de se regarder. Tout juste avaient-ils chacun jeté un rapide petit coup d'œil dans le wagon en montant, afin de s'assurer que les autres étaient bien à leur place. Zoran s'était même levé de son siège pour céder sa place à une vieille dame qui n'en était pas encore revenue et qui avait à peine osé le remercier de crainte qu’il ne change d’avis.

Ils avaient répété l'opération qu’ils projetaient des jours entiers, l'avaient simulée des dizaines de fois, sur diverses lignes du métro afin d’éviter de se faire repérer par les flics, les employés du métro ou  les caméras qui pullulaient. Josip restait inquiet. Il savait qu’une opération même parfaitement préparée risquait d’échouer pour un détail, une défaillance anodine, une seconde d'inattention, l’intrusion d'un importun, un policier trop entreprenant, une grève. Elles étaient si fréquentes dans le métro parisien. Et puis ils étaient tout quatre si jeune, même transformés par leur expérience de combattant en Bosnie depuis deux ans. Ces hommes auraient-ils le cran nécessaire ? Sauraient-ils se rappeler exactement tous les gestes qu'ils devraient accomplir ? Auraient-ils suffisamment d'esprit d'initiative pour adapter leur expérience de la guerre en Bosnie dans les rues parisiennes et réagir face à tout événement imprévu ? Josip ruminait ces questions avec angoisse sans pouvoir n’y apporter aucune réponse. Ils s’étaient tous entraînés de telle manière que tous leurs gestes devinssent automatiques. Chaque fois, ils avaient su surmonter leurs peurs et faire face à tous les incidents rencontrés et satisfaire leur chef, Josip, lui-même au service de Hussein, le Commandant Hussein, son frère aîné, qui lui avait demandé d’accomplir cette mission, quelques semaines plus tôt, et qui attendait quelque part au centre de la Bosnie.

Le métro souffla en parvenant à Denfert-Rochereau. Zoran se leva, relevant machinalement la banquette qu'un ressort aurait ramené sans son aide dans sa position verticale, accrocha son sac à dos à l’épaule et, jouant des coudes pour sortir, effleura l'épaule de son chef sans même lui décocher un regard. Il lui fallait maintenant attraper un autre métro pour se rendre à Charles-De-Gaulle-Etoile où il aurait à attendre et recueillir ses camarades, une fois leur propre mission achevée, au bout de la ligne Nation-Etoile.

Josip le suivit des yeux quelques secondes se fondre dans la foule des passants pressés de dévaler couloirs et escaliers souterrains pour échapper au claustrophobe univers métropolitain. Il reporta son regard vers le tableau situé au dessus de la porte du wagon qui schématisait la ligne du RER en indiquant stations et correspondances. Il le connaissait par cœur mais ne voulait pas s'en détacher. La vue de ce tableau le rassurait, lui évitait de penser.

Comme souvent, un SDF pénétra dans la wagon et demanda l'aumône d'une voix grave, affirmant dans l'indifférence générale des passagers qu'il ne se droguait pas, ne buvait pas, mais que lui et sa famille, deux petits enfants dont un malade, avaient subi un accident de la vie, qu’ils avaient faim et qu'ils comptaient sur leur bon cœur pour subvenir à ses besoins le temps qu'il trouve un emploi. Sa main tendue ayant circulé sans succès parmi des voyageurs désabusés, il sortit à la station suivante et changea de wagon pour répéter le maigre discours qu'il devait ânonner des dizaines de fois chaque matin et chaque soir. Certaines fois, ils étaient deux ou trois à se succéder dans une même rame, répétant inlassablement la même rengaine avec quelques variantes. Parfois, un gitan et son fils tentaient plus tristement d'arracher quelques larmes et quelques pièces en écorchant La vie en rose sur un vieil accordéon ou un violon mal accordé. D'autres fois encore, un véritable petit spectacle s'organisait. Un soir, un groupe de trois jeunes gens avaient bousculé Josip pour dresser un tissu pourpre entre les deux barres d'acier qui encadraient le couloir central derrière les derniers sièges du wagon et avaient fait danser un pantin au dessus du tissu tandis qu'un radio-cassette usé égrenait une musique joyeuse. Seuls les plus tristes ou les plus habitués ne s'étaient pas déridés à ce spectacle inédit, pauvre théâtre de guignol sans guignol.

A Saint-Michel-Notre-Dame, Ibrahim descendit comme prévu par le plan et se mêla aux quelques personnes qui l'accompagnèrent, des étudiants pour la plupart puis à Châtelet, la station suivante, Morislav descendit à son tour en jetant un regard à Josip, au-revoir fugace et rassurant ou adieu chargé d'angoisse tandis que Josip souriait déjà à la pensée des félicitations que son chef de frère lui adresserait lorsqu'il lui rendrait compte de la réussite de sa mission.

Morislav marchait à pas comptés au milieu des passants pressés dans l’immense gare souterraine.

Il sortit tranquillement de la station de métro pour émerger dans la rue de Rivoli ensoleillée.

 

La suite, chapitre 2

 

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