Michel Houellebecq, La carte et le territoire, c'est bien sûr l'événement littéraire de la rentrée.
C'est comme Beigbeder, on aime ou on déteste, souvent sans retenue.
C'était vrai pour la possibilité d'une île, c'était très vrai pour Platteforme, et peut-être davantage pour Les particules élémentaires et Extension du domaine de la lutte ; là cependant, c'est un roman complètement déroutant que nous offre le génial Michel Houellebecq, l'écrivain français le plus aimé et le plus détesté.
Ce livre, c'est l'histoire d'un artiste, Jed Martin, celle de son ascension comme photographe de cartes Michelin puis comme peintre de métiers, de gens de métiers puis de situations professionnelles, jusqu'à un "Bill Gates et Steve Jobs parlant de l'avenir de l'informatique", ssa vie son évolution, dans le milieu artistique dans lequel, d'ailleurs, il n'évolue pas ou alors par hasard, contre son gré.
Cette fois, il ne s'agit pas mettre en scène des partouzes invraisemblables et des putes dans tous les sens comme remède à une misère sexuelle qui serait la plus partagée au monde, mais simplement de présenter, sur un ton délibérément réaliste, l'histoire de Jed Martin.
Seulement, Jed Martin rencontre des écrivains, Beigbeder, mais surtout Michel Houellebecq lui-même. Cette mise en situation directe de soi-même par l'auteur est en soi, incroyable. On est très loin de l'idée classique selon laquelle le héros n'est jamais très éloigné de l'auteur, qu'il y a toujours, beaucoup ou peu, c'est selon, une part autobiographique dans un roman. Ici, le héros, Jed Martin, c'est Houellebecq bien sûr, l'auteur, qui rencontre un personnage, Houellebecq. Rien que cela, donne une dimension au livre étonnante : l'auteur se livrant à une discription de lui-même ou plus axactement des lui-mêmes, et de son univers (par itération de ses univers) par la présentation de héros qui ne sont autre que d'autres lui-mêmes : un autoportrait à quatre, six, huit mains, en quelque sorte, avec une finesse (ou une abscence de finesse selon qu'on aime ou on n'aime pas) déroutante : l'auteur se met à poil devant lui-même et, ce faisant, devant nos yeux. On retrouve là le fil de tous les livres de Houellebecq, ne cachant rien de son mépris pour l'homme, ses désirs, ses joies, ses bonheurs petits ou grands, sur un mode misanthrope et un poil mégalo tiré d'une formule qui pourrait être "je n'ai pas rencontré l'amour, donc il n'existe pas".
Une autre prouesse du livre est de présenter le monde selon sa dimension manufacturée, industrielle, et ce faisant triste, mécanique et prévisible : tout est normé, l'homme, la campagne, la bouffe, l'art, etc. y compris ce qu'il peut y avoir de plus intime, le bonheur, l'amour, ou de plus immanufacturable, les souvenirs, le terroir, l'authenticité des gens, Dieu, les émotions.
Puisque tout est manufacturé, multiplié, normé, Houellbecq se multiplie donc aussi : Jed Martin, Houellebecq, Jasselin (un commissaire qui enquête sur un meurtre dont je ne révèle rien ici, ce serait dommage), Olga, la compagne de Jed, un chien même, etc. au fond, tous les personnages sont Houellebecq : La carte et le territoire c'est un peu "dans la peau de John Malkovitch".
Le ton terriblement triste, ou plutôt froid peut-être, parce que réaliste et que le réel décrit c'est la mécanique du monde, tient au fait que cette mécanique de l'organique s'achève cependant dans la mort, bien que la grille mécanique de lecture du monde s'applique tout, la vie, le capitalisme (il y a des pages géniales sur le sort du capitalisme), les rapports humains (là encore des pages émouvantes sur le rapport fils/père). Or cete mort, mise en scène, révèle le souhait de Houellebecq de se retirer de ce monde. Une fois de plus donc, un roman génial (et avec toujours cette pointe de drôlerie), car cela reste évidemment un roman, un roman philosophique, un roman humain. Exceptionnel.