François Gény (1861-1959) suivit ses études à Nancy. Il fut agrégé en 1887 et fut nommé à Alger, puis à Dijon puis enfin à Nancy, sa ville, sa patrie. Plus que distingué, commandeur de la Légion d’honneur en 1934, neuf fois docteur honoris causa, ses mélanges rassemblent les contributions de 83 auteurs dont 57 non français, en 1937, il fut un auteur considérable dont la pensée est toujours bien présente (Cf. Ph. Jestaz, Cl. Thomasset, J. Vanderlinden, François Gény, Mythe et réalités : méthodes d’interprétation et sources en droit privé, essai critique, Blais, 2000).
Il fait partie de cette génération à qui on
n’enseignait pas le droit civil, mais le « code civil ». Fort de l’influence allemande, il fut, avec Raymond Saleilles et Marcel Planiol l’un des pourfendeurs de cette tradition pour
proposer une méthode nouvelle d’interprétation du droit, dont il fit son cheval de bataille. Initiée en 1899 avec un ouvrage intitulé « Méthode d’interprétation et sources en droit privé
positif: essai critique », en deux tomes, le premier étant préfacé par Raymond Saleilles.
Cet ouvrage fut proprement révolutionnaire, au sens intellectuel du terme. Il attaque l’Ecole de l’exégèse, alors régnante, en montrant que la loi ne peut pas, à
elle seule tout expliquer et que la tradition, notamment doctrinale et donc historique, en d’autres termes, la coutume, justifie le recours à la libre recherche scientifique, formule
puissante attachée à son nom (comp. B. Frydman, Le projet scientifique de François
Gény), inversant alors la considération normative, de la loi vers la jurisprudence.
C’est la fin de la loi comme grand tout, alpha et omega de la norme, et les débuts d’une sociologie juridique alors balbutiante.
Il fait également partie de cette génération du Progrès technique, de la Science, et publia
« Science et technique en droit privé positif », dont les 4 tomes parurent entre 1914 à 1924, où il cherche d’une part à inscrire les évolutions sociales dans le droit d’alors,
par des règles fermes, précises, normatives, et d’autre part à identifier les sources véritables du droit, des principes, que l’on peut atteindre « par les voies combinées de la connaissance
et de l’action », connaissance qui associé toutes les autres : sociologie, histoire, économie, linguistique, philosophie, théologie pour enrichir la libre recherche scientifique, avec
une donnée essentielle pour Gény, celle du droit naturel, un « droit naturel à contenu variable » bien au dessus du droit positif.
L’objectif en effet est pour le juriste d’aboutir à une solution juste et efficace, et non abandonnée à un concept flou reposant sur la considération de l’équité, dont il n’a que faire, tant la
notion se prête au vague, au mou et aux a priori idéologiques.
Pour cela, il convient de bâtir un donné dont les éléments reposent sur la Science.. Il compte quatre « donnés », le donné naturel, le donné historique, le donné rationnel ou
le donné idéal, le dernier étant en relation avec le droit naturel. Du donné, on peut alors aboutir au construit grâce aux éléments de l’ordre juridique, dans lequel la règle s’inscrit.
Dès lors, la technique (Science et technique, …) met en forme le donné, c’est « la partie la plus riche et la plus nourrie de l’organisme
juridique », Gény est un « organiciste », comme bien des hommes de cette époque face aux mutations scientifiques considérables auxquelles ils assistent. Le Construit
est alors la technique juridique, qui peut être artificielle, un discours aux vertus opérationnelles.
On observera, alors, avec Gény, le recours à une certaine méthode aristotélicienne, dans l’observation de la nature pour dénicher des solutions mais également une volonté de faire du droit une
technique, une technique opérationnelle, détachant ainsi la matière juridique de la science politique.
Il convient d’ajouter une masse d’article de doctrine, de commentaires de jurisprudence, notamment dans les Pandectes françaises ou au Recueil Sirey (ancêtre
de notre Dalloz), des détours par la philosophie du droit, par exemple pour défendre la conception subjectiviste du droit (contre une tendance objectiviste défendue notamment par Léon Duguit). Il
publie ses Ultima verba, en 1951, à 89 ans et s’éteint à 98 ans, en 1959.
De Gény, il reste aujourd’hui cette méthode, la libre recherche scientifique, dont l’originalité ne paraît plus guère aujourd’hui tant elle est usitée. On ne lit plus Gény, mais il est utile de
méditer sur le fait que la méthode juridique oscille entre deux tendance, celle de l’obéissance aveugle à la loi, et celle de la recherche d’une solution qui peut être
indépendante de la loi, visant à corréler la solution et l’observation des choses, de la nature.
Platon contre Aristote, toujours.
By DM