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Une petite précaution, en premier : il est assez difficile de parler des auteurs vivants (Dieu les garde, d’ailleurs). L’usage, assez curieux d’ailleurs, veut que l’on traite des morts plus que des vivants. Une bonne raison, les vivants peuvent changer d’avis et surtout consolider leur œuvre ; une mauvaise, parler d’un auteur, c’est déjà l’enterrer.

 

Rompant avec l’usage, j’évoquerai ainsi quelques uns des auteurs majeurs en droit civil et en droit privé général d’aujourd’hui, ce qui fera, beaucoup, beaucoup de monde.

 

Même en m’en tenant seulement aux professeurs, il y a eu depuis 1960 environ et jusqu’à 2009 (date du dernier concours d’agrégation), une quinzaine de concours à 20 places, et ensuite, à compter des années 1990 environ, une dizaine de concours à 28 puis 30 (le mien en 1997 par exemple) puis à 33 postes, soit, environ 600 professeurs, et ce sans compter les professeurs qui ont été reçus dans ce corps via la « voie longue » ou le second concours.

 

La grande nouveauté dans la présentation des auteurs tient à leur spécialisation. La plupart des auteurs contemporains sont plus ou moins spécialisés, même parfois logés dans ces sous-spécialités, ce qui est assez critiquable si l’on y songe.

 

J’évoquerai ainsi quelques auteurs, comme les précédents, isolément, en raison de leur autorité, et puis, de manière plus compactée, les auteurs par leur domaine de spécialité.

 

 

terre.jpgFrançois Terré est ainsi, sans doute, celui qui peut être présenté comme le premier des contemporains. Il est tout à la fois civiliste, commercialiste, sociologue et philosophe.

 

Il est né en 1930 à Paris. Après avoir soutenu une thèse en 1955, l’influence de la volonté sur les qualifications, agrégé en 1957, il rejoint la faculté de droit de Phnom-Penh  au Cambodge – toute une génération partit ainsi dans les colonies pour leur premier poste – puis la faculté de droit de Strasbourg de 1959 à 1963, puis de Lille (jusqu’en 1968), de Nanterre  (un an, mais quelle année ! 1968, 1969) et enfin de Paris II.

 

Il est le continuateur du travail de Alex Weill, auteur des manuels de droit civil aux éditions Dalloz, après Capitant, qu’il reprit et enrichit seul dans un premier temps puis en s’adjoignant Philippe Simler puis Yves Lequette, leur ouvrage de droit des obligations constituant l’une des références en la matière. Il a été conseiller de Jean Foyer alors ministre de la Justice, il est élu à l’Académie des sciences morales et politiques depuis 1995, (il préside aujourd'hui l'Académie), il est commandeur de l’ordre de la Légion d’honneur. Bref, François Terré est l’illustre continuateur de la tradition des grands juristes français.

 

A bien des égards son parcours ressemble à celui de Jean Carbonnier, en ce sens qu’ils partagent le sens de l’érudition, de la culture, de l’ubiquité juridique : François terré est ainsi présenté aussi bien comme un civiliste que comme l’animateur des archives de philosophie du droit. L’une des différences entre les deux tient pour partie à l’engagement protestant de jean Carbonnier et, ce faisant, un tropisme que l’on ne retrouve pas chez François Terré.

 

Ce dernier est en effet beaucoup plus engagé sur le terrain, le terrain des idées juridiques, mais également le terrain universitaire, sur lequel François Terré exerce une autorité indéniable qui en fait, peut-être, le dernier seigneur de l’université, qui n’hésite pas prendre parti sur bien des sujets, souvent pour clore une controverse, ce qu’il réussit généralement, par cette autorité précisément, comme ce fut le cas à propos d’un débat sur le rôle de la doctrine (Ph. Jestaz, Ch. Jamin, L'entité doctrinale française, D. 1997, chr. p. 167; F. Terré, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Antithèse de "l'entité": à propos d'une opinion sur la doctrine, D.1997, chr., p. 22).

 

Il a beaucoup écrit au Figaro, se lançant dans une activité d’éditorialiste et de commentateur de l’actualité, éventuellement juridique, d’une manière qui avait été abandonnée depuis très longtemps par les juristes, flambeau repris aujourd’hui par Félix Rome et ses fantastiques éditoriaux au Dalloz et, dans une autre mesure, par les auteurs bloggers.

 

Son œuvre est considérable, d’abord l’ensemble des manuels de droit civil publiés chez Dalloz, que toute une génération d’étudiants a eu entre les mains, et qui est la continuation des ouvrages d'Alex Weill, dont j'évoque la mémoire ici de façon émue, d'une part parce qu'il était le grand oncle de mon épouse et ensuite parce qu'il est exemple stupéfiant de mémoire : il écrivit ces ouvrages de droit civil, de mémoire, après les avoir pensés pendant sa captivité en Allemagne, pendant le guerre. C'est le cas également comme les grands arrêts de la jurisprudence civile, avec Yves Lequette, ouvrage capital, que se partagent au mois trois générations d'auteurs et de lecteurs, mais également des ouvrages riches, comme l’enfant de l’esclave (1987) qui est un prélude à l’étude de la bioéthique, ou le droit, un exposé pour comprendre, un essai pour réfléchir (1999) qui l’inscrit dans la catégorie des philosophes du droit qui apportent leur pierre à l’édifice, sans se contenter de rapporter l’œuvre des autres, et enfin la direction d’un ouvrage sur la réforme du droit des obligations (Pour une réforme du droit des contrats, Dalloz, 2009) qui montre que François Terré demeure très actif sur le terrain de la pensée juridique, pensée que d'aucun pourrait considérer, d'un peu loin, comme conservatrice, ce qui n'est pas faux, mais ne révèle en rien la richesse de celle-ci.

 

On ajoutera le traité sur les sociétés commerciales (en 3 tomes),  un ouvrage de procédure civile (il fut membre de la commission de réforme du Code de procédure civile), un, plus étonnant, de droit de la consommation qui le conduit à réfléchir à une recodification du Code de la consommation, mais surtout la somme de ses notes, travaux, articles, notamment aux archives de philosophie du droit, comme préfacier (La magie et le droit, de Georges Gurvitch, Dalloz, 2006, La notion d’autorité, d’Alexandre Kojève, nrf, Gallimard, 2004, par exemple) ou comme auteur (Sciences, éthique et droit, Odile Jacob, 2007, La vertu, Puf, 2009, avec J. Foyer et C. Puigelier). A lire enfin, les mélanges François Terré, qui datent de 1999 et  dans lequel on trouve quelques belles pépites.

By DM

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