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Que cela n'intéresse personne ou quelques amis avertis, que cela passe pour une forme majeure de narcissisme, de divulgation d'une intimité littéraire ou simplement d'une information d'un amateur, peu importe, je continue, ne serait-ce que pour dater mes lectures, plus exactement mes impressions de lecture, celles que j'ai envie de partager. Comme je suis très en retard, j'imagine que ce qui me reste est l'essentiel, même si, en me relisant, j'observe que j'ai oublié D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère, un excellent Carrère même (relu pour l'explication du rôle du juge dans la mise en oeuvre du droit de la consommation : une illustration du réalisme juridique), et un petit coup de Modiano, la place de l'étoile notamment (excellente pantomine et pastiche de la crétinerie antisémite, figurée par un juif gestapiste), d'autres encore.

 

J'en étais resté à La vérité sur l'affaire Harry Québert, il y a plus d'un an. Depuis, parmi ce que j'ai lu, voici mon petit compte-rendu.

Je commence par ce que j'attendais avec impatience et qui m'a le plus déçu : houellevecquophile sans limite, je me suis jeté sur Soumission.

Bon ben voilà, c'est fait, c'est acheté. C'est lu. C'est rangé. No comment. Pas sur l'objet de la polémique absurde qui lui est faite, c'est sûr que sortir le bouquin le 7 janvier, c'était pas de bol. Non, sur le traitement du sujet : une France qui se soumettrait, comme ça, sans résister, ou si peu, les femmes qui accepteraient de se marier à des inconnus, vieux, dès 15 ans, toute la fonction publique qui accepterait de se convertir, sans râler... Vous me direz qu'il y a le précédent de 1940, Montoire, le serment au Maréchal, etc. Je répondrais ; rien à voir, il y avait eu la catastrophe de juin 40, l'image de Pépère Philippe, la contamination sourde d'un fascisme montant, l'Occupation, etc. Dans Soumission, rien de tout cela. Invraisemblable. Il a perdu sa vista. Même en Tunisie il y a des Femens : où sont-elles dans Soumission? Bref, malgré quelques houellebecquinades bien senties, sur le monde de l'université par exemple, au début, c'est raté. 

 

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Je reviens au début. 

Après l'affaire etc., Au revoir la haut, de Pierre Lemaître goncourt de 2013, un livre un peu guerrier, mi-chambre des officiers, mi-les croix de bois, qui se déroule à la fin de la premieère guerre mondiale, sur fond de commerce de monuments aux morts, de riches familles parisiennes, de pauvres familles parisiennes, de souvenirs, de pertes de proches, de souffrances, enfin, tout ce à quoi nous avons échappé depuis 70 ans.

 

  

Je dois aussi dire que, après La religion, en 2011, Tim Willocks revient en force, en 2014, avec Les douze enfants de Paris, deuxième tableau d'une histoire qui devrait en comporter trois. Bon autant prévenir tout le monde, c'est du roman de mec, ceci dit sans ostracisme aucun, et sous le contrôle du ministère des droits de la femme.

La religion, ce sont les Chevaliers de Saint-Jean de jérusalem, dits aussi des Hospitaliers de Saint-Jean, qui sont les concurrents et depuis leur destruction les successeurs des templiers, réfugiés à Malte après avoir quitté le Royaume latin d'Orient, puis Chypre puis Rhodes, et devant, en 1565 à nouveau affronter le Turc, sous le commandement de Somilan le Magnifique. L'hisoire met en scène une sorte de super héros, Mattias Tannhauser, né quelque part entre l'Autriche et la Serbie, emporté comme esclave lors d'une razzia turque, élevé comme jannissaire et rompu à la guerre sous le drapeau turc, et, échappé, revenu en Italier faire du commerce et de la contrebande. Contraint par une comtesse, Carla de La Penautier, de rejoindre Malte pour sauver son fils. Il va participer à cette bataille épique, l'Illiade maltaise qui, après la bataille de Lépante en 1571 marquera la fin de l'expansion turque. Dire que le roman est "violent" serait une boutade : il est hyper violent, brutal, limite mysogyne ou plus exactement phallocrate mais c'est un roman stupéfiant. les scènes de batailles, qui se succèdent sans ennui, sont terrifiantes de réalisme : ça pue la cervelle éclatée, le sang, la sueur, on entend les hurlements, les râles des blessés. La puissance narrative de l'auteur (dont il faut dire qu'il est médecin, karatéka et visiblement amateur d'opium) est exceptionnelle.

Les douze enfants de Paris, c'est la suite, où Matthias doit retrouver la comtesse de La penautier, qu'il a épousé et qu'il doit retrouver à Paris car elle est sur l point d'accoucher ; nous sommes en août 1572... On se retouve en plaine guerre de religions, ou la Saint-Barthélémy est peinte, avec une puissance inégalée : ce n'est pas la Reine margot de Dumas, ni la description, déjà bien fidèle de Robert Merle dans Fortune de France, mais là c'est une fresque terriblement réaliste des massacres dont on voit bien qu'ils ne sont pas une simple erruption de colère qui retobe aussitôt qu'elle s'est manifestée, mais une entreprise de destruction. Seul, affronant mille danger, toujours en massacrant allègrement tous ceux qui se dressent sur son passage, égorgeant, tranchant, découpant, hallebardant, etc., avec une forme d'art martial pesonnel, au milieu de personnages parmi les quels on se perd parfois, dans un Paris gris, sale, grouillant, effrayant même, mais à qui la poésie de Willoks offre un charme fou, on suit Tannhauser du début à la fin de ces journées sanglante pour protéger ceux qu'il aime.

Enfin, D. de Robert Harris, un roman sur "L'affaire", l'affaire Dreyfus. Pour ceux qui ont lu le livre de Jean-Denis Bredin, le grand livre historique sur cette histoire ou vu le superbe télépfilm d'Yves Boisset (1995, scénario de Semprun sur la base du livre de Bredin), qu'on peut trouver en quelques clics sur le net, le dépaysement ne sera pas complet. Pour les autres, voir le télépfilm n'est pas inutile. L'affaire Dreyfus, en effet, ce n'est pas simplement une histoire de bordereau, sans intérêt, ni de trahison : c'est l'histoire d'un faux, d'un ensemble de faux organisé au nom de la raison d'Etat, à savoir, après la guerre stupidement menée et perdue de 1870, l'honneur de l'Armée, cette armée triomphante au-delà des mers et qui prépare sa revanche. C'est une histoire très complexe ou le vrai se démèle difficilement du faux, où des procès sont organisés, enfin bref qui ne se résume pas à deux camps, celui des dreyfusards et celui des antidreyfisards : comme toujours tout est est très complexe, gris. Dreyfus n'est qu'un prétexte, "le sujet" de cette inextricable sac de noeuds, notre noeud grodien moderne, tranché par Georges Picquard, le colonel Picquard, le héros de cette histoire. Harris met en scène le colonel Georges Picquart en tant que pièce centrale du tableau (génial Christian Brendel dans le téléfilm, Arditti presque trop beau pour jouer Esthérazy, Bernard-Pierre Donnadieu, étonnant de vérité en colonel Henry, etc.). D. ne se présente pas comme un ouvrage historique, mais comme un roman, avec cette capacité qu'ont les anglais de romancer l'histoire et de présenter un suspense, la construction de la culpabilité de Dreyfus, les évidences, la condamnation, qui ne fait aucun doute et puis la nomination de Georges Picquart, magnifique officier colonial, et désigné à la tête du contre-espionnage, à la place du commandant Henri, l'adjoint qui voulait le job, et à qui prend la fumeuse idée de s'intéresser à son département, par exemple l'affaire Dreyfus, les documents, le bordereau. L'enquête commence, à la manière d'un roman d'aventure, policier et d'espionnage, au mileu de conjurés qui ne cesseront de revendiquer leur part de vérité, au nom de l'honneur de l'Armée, et d'une certaine tradition (que Maurras reprendra d'ailleurs, en 1945 lorsqu'il est condamné : "c'est la vengeance de Dreyfus", formule qui serait idiote si elle ne symbolisait, par incarnation d'une haine et d'une image de soi renversée, l'image d'une France éternelle dont il aurait été le garant et que la République aurait souillée), des juges, mais également de Clémenceau, Zola, etc. Une histoire haletante.

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