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Il s’appelle Bernie. C’est un détective privé. Un ancien flic, reconverti dans un emploi de détective d’hôtel.


Introduit comme cela, La trilogie berlinoise de Philipp Kerr qui rassemble trois livres,
L'été de cristal,  La pâle figure et Un requiem allemand ne présente aucune originalité.


Sauf que Bernie est allemand, ancien Kriminalinspector, de la Kripo donc, et intégré au RHSA  de Heydrich (et donc SS), qu’il a quittée pour cause de désaccord avec la purge de la police par les nazis, qu’il vit à Berlin entre 1936 et 1947, pour cette trilogie, qu’il est confronté à la Gestapo, à la SS, qu’il recontre des tas de gens merveilleux, comme Hermann Goering, Heinrich Himmler, Heydrich, Goebbels, etc. ,le tout présenté de manière assez naturelle, quoique noire, façon Phillip Marlow ou Nestor Burma, comme tous les critiques du livre et le premier lecteur venu peuvent le remarquer.


trilogieberlinoiseIl a un bureau triste, une secrétaire fidèle, il picole, aime les femmes faciles qui le quitte aussi aisément qu’elles ont couché avec lui, vit d’expédients et de billets de 100 marks, et, un beau matin, on vient le tirer de ses affaires minables pour retrouver la fille d’un riche industriel, Hermann Six, le tout sur fond de nettoyage de Berlin pour l’accueil des JO et des médias occidentaux.


C’est ainsi que commence le premier épisode, L’été de cristal, comme la nuit, qui se déroule, donc, pendant les JO de 1936, le parti nazi étant en pleine gloire. Bernie est ainsi conduit à rechercher cette fille qui mourra violée à la fin, d’un bijou ce qui permet à l’auteur de mettre en scène les disparitions de Juifs pendant cette période.


Le second, La pâle figure, met en scène Reynald Heydrich, chef du RHSA, qui coiffe toutes les forces de police du Reich, dont la Kripo, ennemi mortel de Himmler, dont la SS lui échappe, et réciproquement, qui contacte notre Bernie préféré pour  résoudre le cas d’un tueur (sexuel) en série, en 1938, au moment de l’affaire des Sudètes.


Le troisième, Un requiem allemand, commence en 1947, à la fin de la guerre donc, dans un Berlin en ruine et découpé en quatre zones d’occupation, sur fond de dénazification truquée, de criminels de guerre en vadrouille, de lutte d’influence entre américain et russes, le conduit en Autriche, où les autrichiennes se prostituent pour manger, Bernie soupçonnant sa femme (il s’est marié entre temps) de faire commerce de son corps pour les mêmes raisons avec un officier américain. Il s'achève en Autriche, après la guerre, entre américains et russes, la guerre froide commençant, justifiant ainsi les premières frictions entre deux blocs, l'allemagne de l'Ouest étant intégré au bloc américain, justifiant de fermer les yeux sur certains éléments du passé allemand.


Tourt les trois présentent, par un auteur écossais, cette Allemagne noire, criminelle, nazie, ces immondes crapules, qui nous terrifient tant.


Il y a au moins deux histoires. La première, basique, est faite d’intrigues policières, pas banales en soi, mais qui n’ont rien d’extraordinairement original.


La seconde est servie par la première : la mise en scène d’une époque, finalement mal connue dans son quotidien, un peu comme Jean-François Parot lorsqu’il met en scène Nicolas  Le Floch, Commissaire du Roi, sous Louis XV. Bernie Gunther visite tous les souterrains, toutes les caves, toutes les poubelles, de l’Allemagne nazie et livre un tableau terrible de cette époque.

«Derrière l’immeuble où était situé mon bureau, se trouvait l’Alex, le quartier général de la police… qui considère aujourd’hui comme criminel le fait de parler irrespectueusement du Führer, coller sur la vitrine de votre boucher une affiche le traitant de «vendu», omettre de pratiquer le salut hitlérien ou se livrer à l’homosexualité. Voilà ce qu’était devenu Berlin sous le gouvernement national-socialiste: une vaste demeure hantée pleine de recoins sombres, d’escaliers obscurs, de caves sinistres… où s’agitaient des fantômes déchaînés qui jetaient les livres contre les murs, cognaient aux portes, brisaient des vitres et hululaient dans la nuit, terrorisant les occupants au point qu’ils avaient parfois envie de tout vendre et de partir.»


C’est ainsi le quotidien nazi, vu de l’intérieur qui est décrit et vécu par Bernie, qui conduit le lecteur à le vivre lui-même. Après quelques pages seulement, on est immanquablement plongé dans cette ambiance nauséabonde, de manière particulièrement réaliste.
 


"Ce soir-là, on eût dit que tout Berlin s'était donné rendez-vous à Neukölln, où Goebbels devait parler. Comme à son habitude il jouerait de sa voix en chef d'orchestre accompli, faisant alterner la douceur persuasive du violon et le son alerte et moqueur de la trompette. Des mesures avaient par ailleurs été prises pour que les malchanceux ne pouvant aller voir de leurs propres yeux le Flambeau du Peuple puissent au moins entendre son discours. En plus des postes de radio qu'une loi récente obligeait à installer dans les restaurants et les cafés, on avait fixé des haut-parleurs sur les réverbères et les façades de la plupart des rues. Enfin, la brigade de surveillance
radiophonique avait pour tâche de frapper aux portes des appartements afin de vérifier si chacun observait son devoir civique en écoutant cette importante émission du Parti."


En outre, Bernie n’est un simple « Batman » un super héros qui se permet tout, une arrogance, une liberté  (une richesse qui lui coûte) des vannes incroyables à l’encontre des brutes épaisses de la gestapo (et recevant les cassages de gueules réglementaires pour cela d’ailleurs).


Le pire, et le meilleur, est le troisième opus, où tout le monde en prend pour son grade, français compris, en dressant un portrait de l’Allemagne, et en fond de l’Europe et du monde, assez saisissant mais sans doute assez exact, loin des clichés sympathiques de grande réconciliation des peuples, de grande dénazification générale. Exactement comme la France de l’époque où tous les collabos (les vrais) n’ont été ni pendus ni éliminés, l’Allemagne est présentée comme ayant fait avec ce qu’elle trouvait, c’est-à-dire des types bien et des salauds.


lamortetriend'autre
Poursuivons avec la suite, La mort entre autres l’apothéose, qui achève cette quadrilogie : cette fois nous sommes en 1949, à Munich. Bernie occupe une chambre d’hôtel en face du camp de Dachau où il a passé un séjour en 1936.

Une femme lui demande de retrouver son mari disparu et nous voilà replongé dans l’univers post-nazi, avec des américains complices des criminels de guerre, avec des faux-ex-nazis et vrais membres de la fraternelle des anciens criminels de guerre, à laquelle il parvient à se mêler, en raison de son passage comme commissaire dans la Kripo, qui était une partie du RHSA et dont les membres étaient automatiquement insérés dans la SS, une vengeance de la Haganah qui parvient à zigouiller près de 2 000 SS emprisonnés.


Une fois de plus, c’est l’ambiance de l’immédiat après guerre qui est magnifiquement mis en scène par Philip Kerr avec un talent exceptionnel.

 

La suite, dans la même veine, se déroule en Argentine sur les traces de Eichmann (Une douce flamme) et entre les mains des symathiques Peron, puis Hôtel Adlon, retour en 34 à Berlin quand Bernie est viré de la police (pas assez nazi) et se retouve à jouer les détectives d'hôtel, et enfin Vert-de-gris assez épouvantable, tiraillé entre les services secrets américains, français, et les camps sociétiques... Reste Prague fatale, c'est pour 2014 (ou alors en anglais).

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