Jean Carbonnier (1908-2003) fut sans doute l’un des plus grands esprits du droit civil du XXème siècle. Dernier des modernes ou premier des contemporains ? Un peu des deux sans doute.
D’origine bordelaise, il fit ses études à Bordeaux où il soutint une thèse en 1932, intitulée Le régime matrimonial, sa nature juridique sous le rapport des notions de société et d'association. Il fut admis au le concours de l'agrégation de droit privé en 1936 et choisit l'université de Poitiers en 1937, où il demeura jusqu’en 1955 pour rejoindre l’université de Paris, puis celle de Paris II Panthéon-Assas, jusqu’en 1976.
Il fut l’auteur, notamment, d’un ensemble d'ouvrages de droit civil aux éditions Puf, à compter de 1955, aujourd’hui réédités en collection complète en deux tomes (Quadridge, 2004) dont le
grand succès était, dû, outre leurs qualités intrinsèques, à l’association entre les règles internes proprement dites, des éléments de droit comparé, d’histoire, de sociologie, voire
d’anthropologie, de philosophie, d’économie, de théologie, etc., toutes matières dans lesquelles il pouvait, outre en parler, afficher quelque prétention. Il insistait notamment sur des questions
de politique juridique dans des encarts particuliers, un « pour en savoir plus », qui permettait de savoir tout.
Enfin, dans la lignée de Durkheim et Max Weber et parce que protestant (très actif notamment dans l’association du Désert cévenol il rédigea une biographie de l’Amiral de Coligny, et des
Lectures pour le protestantisme français d’aujourd’hui, Puf, 1982), il promut la sociologie juridique, à travers deux ouvrages majeurs, Sociologie juridique (Quadridge, 2004) et
surtout le magnifique Flexible droit avec une partie maîtresse sur le non droit (LGDJ, 1àè éd., 2001) : « L’hypothèse du non-droit » qui fit, entre
autres écrits et pensées, sa notoriété mondiale (cf. par ex : Francesco Saverio Nisio, Jean Carbonnier : regards sur le droit et le non-droit, Paris, Dalloz, 2005, Andrini,
Simona & Arnaud, André-Jean, Jean Carbonnier, Renato Treves et la sociologie du droit : archéologie d'une discipline : entretiens et pièces. Paris : LGDJ,
1995).
Il fut enfin un grand législateur, sous la houlette de Jean Foyer alors ministre de la Justice (du général de Gaulle)
et fut à l’initiative de toutes les grandes réformes du droit civil, de 1964 à 1975, dont il rendit compte dans un ouvrage Droit et passion du droit sous la Vème République (Flammarion,
1996 et adde Essai sur les lois, 1995).
Il fut donc d’abord un grand écrivain du droit (on peut
d’ailleurs trouver ses cours polycopiés de doctorat ainsi que des cours en video de jean Carbonnier) ou du non-droit : « (La sociologie juridique) reconnaît que tout le
social n’est point juridique, outre que, dans les rapports entre les hommes, il s’en rencontre peut-être qui échappent au droit parce qu’ils ne sont pas même socialisés. Elle en vient à admettre
que le droit n’emplit pas toute l’atmosphère humaine, qu’il y a, dans les sociétés, des vides de droit, et elle pose, au moins comme une hypothèse, à côté du droit, le non-droit ».
Ou encore cet extrait, très souvent cité : « le droit est plus petit que les relations entre les hommes ; c’est contre une tentation assez répandue
parmi les juristes, et d’ailleurs pour eux bien naturelle, que la sociologie juridique a le devoir de réagir : ce que l’on pourrait nommer la tentation du panjurisme, qui nous porte à
supposer du droit partout, sous chaque relation sociale ou individuelle (…). Une certaine insignifiance du droit peut être un des postulats de le sociologie juridique : le droit est une
écume à la surface des rapports sociaux ou interindividuels. S’il nous faut ici une hypothèse, ce sera, loin du panjurisme, l’hypothèse salubre du non-droit ».
Son œuvre fait même, cas unique, l’objet d’une « exposition
virtuelle » sur l’Internet.
Ce que l’on peut retenir de l’œuvre de Carbonnier, c’est en premier lieu l’ouverture du droit privé vers la sociologie, à travers ses écrits bien sûr mais aussi dans l’action, le sondage qu’il
promut avant la loi de 1965 sur le réforme des régimes matrimoniaux pour vérifier si les français accepterait une régime légal qui fût celui de la participation aux acquêts, et non la communauté,
mais encore son ouverture d’esprit, le conduisant à admettre toute pensée pourvu qu’elle fût articulée et raisonnable, s’excusant presque de prendre parti contre celles-ci, mais aussi son esprit
de décision, ce qui justifie son œuvre prélégislative et par exemple le choix du divorce pour rupture de la vie commune, en 1975, poursuivant l’idée, très protestante et surtout très peu
catholique, que le mariage ne saurait être indissoluble.
By DM