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Dracula
Ljuta, 30 juin 1995, 5h15
24. Au centre de Ljuta, le commandant Basilevic allait finalement réussir à finir de se saouler. Il avait entamé une bouteille d'un ignoble alcool de prune vers dix heures la veille, et elle était maintenant presque vide. L’aube allait surgir et il aurait à peine le temps de se reposer. Quatre ans plus tôt, Il avait quitté son emploi à la poste d'un petit village serbe pour prendre la tête d'une section de miliciens volontaires, en raison de ses capacités supposées durant son service militaire, comme sergent, dix ans plus tôt. Ils avaient écumé la région, tué beaucoup de musulmans, quelques croates et pour ces exploits, il avait été nommé capitaine lorsque le précédent capitaine était mort en sautant avec sa voiture sur une mine antichar qu'il n'aurait pas manqué de voir et d'éviter s'il n'avait été complètement saoul ce soir-là.
Depuis, ivre de sauvagerie et de la puissance qu'il détenait sur ses hommes et sur le maigre territoire qu'il contrôlait et terrorisait comme, au Moyen-âge, les capitaines laissés libres de piller les régions qu'ils traversaient avec leurs bandes de soudards en mal de tuerie, en mal de meurtres et de sang. Ils furent les vampires des campagnes d'autrefois comme Basilevic était le vampire des campagnes bosniaques du moment, incapable de se passer du pouvoir morbide qu'il détenait. Il lui faudrait retourner à son emploi de postier, retrouver ses mornes collègues et les longues journées identiques et sans passion. Il pourrait peut-être trouver un emploi dans une ferme du village, ou à l'usine. Rien à voir en tout cas avec la vie trépidante qu'il menait depuis quatre ans et qu'il ne quitterait sous aucun prétexte. Il ne pouvait s'imaginer en train de composter des lettres ou des colis, recevant des ordres de l'un de ses soldats peut-être ?
La vie civile ne valait décidément rien à côté de celle de chef militaire en guerre. Il comprenait maintenant pourquoi les hommes des siècles passés ne s'arrêtaient qu'avec la balle qui les jetait à terre ou transpercés de la pointe d'une flèche, d'une épée, d'une lance ou écrasés, brisés, sous une masse d'arme.
Tout ce qu'il avait connu, les femmes, la vie, l'argent, le pouvoir, la franche et militaire camaraderie mais aussi la peur, la volonté, l'indicible joie animale qu'il éprouvait à donner la mort en risquant chaque fois sa vie et celle de ses soldats comme un gladiateur des temps modernes, il l'avait vécu durant ces quatre dernières années. Aucun sentiment, aucune émotion de sa vie civile et qu'il avait crû inégalés ne souffraient la comparaison avec ceux qu'il avait éprouvés à la guerre. Il avait trouvé une nouvelle famille, un nouvel idéal, une nouvelle vie.
Il se versa un verre en hommage à ses heureuses pensées, vite assombries à la vue de la porte qui communiquait avec la pièce voisine et à travers laquelle il devinait le pas de son visiteur.
A côté de la pièce qu'il occupait au centre de la plus grande maison du village, celle du maire que ses troupes avaient expulsé avec ses congénères il y avait deux ans déjà, en tuant quelques uns, utilisant quelques unes, se reposait le colonel Atisevic, inspecteur général de l'armée de Yougoslavie délégué auprès du gouvernement de la République serbe de Bosnie. Il était arrivé la veille dans un véhicule blindé soviétique aux couleurs de la Yougoslavie précédé d'une escorte de soldats yougoslaves et de miliciens serbes.
Atisevic ouvrit la porte d'un mouvement franc et jeta un regard circulaire sur la pièce. Son regard croisa celui de Basilevic qui ne put le soutenir. L'alcool justifiait en partie cette faiblesse mais en partie seulement. Atisevic dégageait une élégance naturelle, un mélange harmonieux de désinvolture, de rigueur, de décontraction et de raideur qu'ont ces grands militaires des grandes familles françaises, anglaises ou allemandes, larges contributrices de chairs à canons depuis des siècles. Il prenait tout son temps pour ajuster ses gants de cuir fauve. Finalement, il rompit le charme en entrant et en s'asseyant aussitôt, croisant ses jambes qu'allongeait une paire de bottes brillantes parfaitement lustrées.
Atisevic posa son képi, retira ses gants et alluma une cigarette anglaise avec un briquet Zippo américain sans en proposer à Basilevic.
— Colonel Atisevic, de l'armée de Yougoslavie. Je suis chargé par le général commandant les forces armées de Yougoslavie d'effectuer une tournée d’inspection dans les rangs de l'armée de la République serbe de Bosnie.
Le commandement yougoslave prête une certaine attention aux conditions dans lesquelles vos troupes traitent l'ennemi, avait-il poursuivi, et il n'est pas certain que toutes les opérations qui ont été menées sous votre commandement l'ait été d’une façon qui puisse souffrir aucune critique.
Basilevic crut s'étouffer. Un petit coup d'alcool de prune lui ferait du bien.
« Les salauds ».
— ça fait quatre ans qu'on me dit de faire la guerre aux musulmans et aux croates, sans limitation des moyens. Des moyens que vous nous fournissez. Aujourd'hui vous avez peur des occidentaux. De leurs télévisions surtout. Et vous voulez faire payer votre peur par des types comme nous.
« Et Sarajevo, alors, et Tuzla, et Bihac ? Ce ne sont pas des conditions dans lesquelles nos troupes traitent l'ennemi qui intéressent le commandement ?
— C'est une autre question mais vous vous leurrez commandant. Il s'agit de zones de sécurité dans lesquelles les serbes de Bosnie ont commis des crimes de guerre. La Yougoslavie a condamné ces agissements. Il nous est difficile de complètement désavouer nos frère serbes même s'il sont devenus complètement fous et aveugles. Nous ne sommes plus au Moyen-âge ! Mais ce sont là des décisions politiques qui vous échappent et que vous n'avez pas à discuter ! Il n'est pas sûr, d'ailleurs, qu’elles aboutissent à quelque chose, murmura-t-il pour lui même.
— Et la Grande Serbie ! C'est la nôtre, pas la vôtre ! ne put se retenir Basilevic, explosant, bavant, les yeux exorbités injectés d'alcool et de sang.
« Vous avez oublié Vukovar, vous avez oublié Tito. Vous avez oublié le rêve serbe, vous avez tout oublié. Vous voulez laisser le pays aux païens, aux musulmans, ceux-là même qui ont occupé le pays pendant des siècles et qui aujourd'hui sont financés par les pays arabes, la Turquie et les républiques islamiques ?
« Jamais. Vous entendez ? Jamais ! Ce pays est à nous. Nous ne laisserons pas un pouce des territoires conquis par le grand peuple serbe seul contre tous, contre les anglais, contre les français, contre les américains. Jamais ils ne nous attaquerons, nous sommes trop forts, trop déterminés, trop aguerris maintenant pour qu'ils osent venir ici. Quant à l'ONU, nous pillons tous les jours leurs convois, nous pouvons fermer les aéroports si nous le souhaitons. Bientôt nous prendrons les zones de sécurité, une par une. Et nous prendrons Sarajevo en dernier. Nous en ferons la capitale de la Grande Serbie ! L'Europe sera à genoux et elle sera bien obligée de nous accepter ! C'est que nous voulons pour notre peuple !
(...)
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