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Béret bleu
Sarajevo, 10 juin 1995
13. « A Paris c'est déjà presque le début de l'été » songea Lemercier. Il se surprit à penser à Natacha mais chassa ce souvenir en secouant la tête. Il tremblotait à l'avant de sa jeep arrêtée en tête du convoi au pied du Mont Igman, juste après la ville d'Ilidza, au sud de Sarajevo, devant l'aéroport. Ils avaient quitté Zagreb quelques heures plus tôt. Ils avaient arrêté la colonne quelques minutes, le temps que les hommes remuent leurs jambes, tout ankylosés dans leurs véhicules au confort strictement et désespérément militaire.
Les pentes du Palais de Chaillot devaient être jonchées de jeunes gens sans soucis. Les uns, assis, admirant les autres qui montraient leur art du saut en hauteur ou du slalom en roller, comme s’y adonnaient peut-être, en ce moment, Sophie et Natacha. D'autres encore, s'il faisait suffisamment chaud, pouvaient s’allonger et s'imaginer sur une plage, près du Cap Ferret ou bien au soleil de Saint-Tropez à moins que ce ne soit près d'un camping à Palavas ou à Perros-Guirrec, profitant des premiers vrais rayons de soleil.
Ici, à quelques kilomètres au sud-ouest de Sarajevo, en ce début de juin 1995, commençait un timide temps de printemps. Pas question de tels rêves pour les habitants de Sarajevo. L'idée même de rêve, de choix, de projet semblait avoir disparu. Sauf le rêve d'une pomme de terre, le choix d'avec une autre pomme de terre et le projet d'en trouver une pour le lendemain. Comme si le temps ne se déroulait pas au même rythme, sa lenteur accompagnant celle de la marche d’une paix improbable. Avec pour seul horizon des bâtiments le plus souvent détruits, calcinés, pleins des souvenirs des cris des victimes dont l’écho résonnait encore et qui avaient étouffé les joies et les rires qui avaient pu emplir ces murs. Une vision de guerre, au sens où l’Europe l’avait vécue cinquante ans auparavant. Un cauchemar.
*
Lemercier remonta le col de son treillis teint aux couleurs d'une végétation imaginaire et guerrière. Il noua le filet de camouflage qui lui servait d'écharpe, ajusta le béret bleu ciel onusien qu'il n'avait troqué contre son béret rouge que contraint par l'adjudant Fayard qui avait manqué s'étrangler lorsque il avait vu Lemercier tenter de le jeter à la poubelle et remettre son béret rouge. Lemercier avait cependant obstinément refusé de porter son casque et le gilet pare-éclat qui pourtant étaient de rigueur dans toute la Bosnie, malgré les jérémiades de l'adjudant Fayard et ses rappels au règlement.
— Mais enfin mon commandant, mon lieutenant, c'est obligatoire, c'est le règlement! Si vous croyez que ça m'amuse de porter ces trucs. Mais le général de Rougemont l'a encore écrit l'autre jour dans son ordre du jour : « Il vaut mieux porter cette carapace qui nous fait davantage ressembler à une tortue ou un soldat de La guerre des étoiles qu'au modèle du soldat français que l'histoire a jeté dans tous les champs de bataille du monde, ou presque, que de ressembler à une passoire ».
— Arrêtez de pleurnicher Fayard, je ne les porterai pas ! Après tout puisque le gouvernement français veut être le promoteur des divers cessez-le-feu et plans de paix qu’il cautionne, la moindre des choses est de montrer par l'exemple qu'on y croit au moins un peu. — Mais mon commandant, c'est du flan tout ça ! On se fait tirer dessus tout le temps! On doit ressembler à des animaux d'ici. Peut-être qui z'ont l'habitude de les chasser. Ou alors ils nous aiment pas, mais je me demande bien pourquoi.
— Foutez-moi la paix Fayard ! Vade retro Dark Vador !
L'autre, bougonnant, avait regagné sa jeep en queue de convoi, en invoquant les règlements militaires en vigueur et tous ces officiers complètement abrutis et qu'on ferait bien d'en fusiller quelques uns de temps en temps. Pour maintenir à niveau le moral de la troupe.
(...)
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