Cass. soc. 21 septembre 2017 (n°16-20103) : Nouvelle (et considérable) avancée de l'entrée en vigueur immédiate de la réforme des contrats de travail
La Cour de cassation avait sonné le glas de l'article 9, al. 2 de l'ordonnance de 2016 réformant le droit des contrats, par deux fois, d'abord dans un arrêt de la troisième chambre civile, du 9 février 2017, assez timidement (à travers une question où la question, assez mystérieuse de l'effet légal d'une disposition pouvait laisser planer un certain doute) puis très franchement dans un arrêt de la Chambre mixte du 24 février 2017, s'agissant de l'application de l'article 1179 (nouveau) du Code civil, s'agissant de l'appréciation du caractère absolu ou relatif d'une nullité).
Rappelons que l'article 9, al. 2 de l'ordonnance du 10 février 2016 précise que, sauf trois textes d'application immédiate, les contrats conclus avant l'entrée en vigueur de la réforme, le 1er octobre 2016, reste régi par la "loi ancienne", ce qui n'est pas clair et laissait, très clairement au contraire, la place pour une application immédiate des normes nouvelles d'ordre public.
En effet quatre interprétations de l'article 9, al. 2 de l'ordonnance de 2016 sont possibles (et comp. Pour l'entrée en vigueur immédiate des règles nouvelles de droit des contrats), formalisées sous forme de propositions :
Proposition n°1) l’article 9, al. 2 signifie que le droit des contrats nouveau ne s’appliquera en aucune manière aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, puisque la règle de survie de la loi ancienne est ici posée , sauf les exceptions expresses de la loi (dont les trois textes visés par l'article 9).
Proposition n°2) l’article 9, al. 2 ne définit pas ce qu’est la « loi ancienne » ou la « loi nouvelle » de sorte qu’on pourrait considérer que la loi ancienne s’entend des règles non modifiées par des règles d’ordre public touchant à l’exécution du contrat
Proposition n°3) l’article 9, al. 2 ne définit pas ce qu’est la « loi ancienne » ou la « loi nouvelle » de sorte qu’on pourrait considérer que la loi ancienne s’entend des règles non modifiées par des règles d’ordre public touchant à l’exécution et la formation et la validité du contrat.
Observons que cette proposition est de nature à associer l'effet dans le temps des normes juridiques nouvelles de source légale et de source jurisprudentielle.
Proposition n°4) l’article 9, al. 2 ne définit pas ce qu’est la « loi ancienne » ou la « loi nouvelle » de sorte qu’on pourrait considérer qu’elle est constituée de toutes les règles non modifiées par la loi nouvelle, quelle que soit leur nature.
Observons d'emblée que si une proposition prudente aurait permis d'incliner vers la proposition n°2, celle n'impliquant que les normes d'ordre public touchant à l'exécution du contrat, la jurisprudence semble avoir préféré la proposition n°3 dans la mesure où, dans l'arrêt du 24 février 2017, c'est une question de nullité du contrat qui est saisie, et donc une question de formation du contrat.
Une hirondelle ne faisant pas le printemps, il restait à attendre des confirmations surtout au moment où, le Sénat, préparant le travail législatif conduisant à l'adoption de la loi de ratification de l'ordonnance a auditionné un certain nombre de spécialistes de la matière, notamment sur cette question.
Or, voilà que la Chambre sociale emboite le pas dans cet arrêt du 21 septembre 2017 et de quelle manière, à nouveau s'agissant d'une question de formation des contrats et, mieux, une question opposant la qualification de promesse de contracter ou d'offre.
Dans les faits, il s'agissait d'un joueur de rugby ayant reçu une offre de contrat de travail (en 2013) à laquelle était jointe une convention prévoyant l’engagement pour la saison sportive 2012/2013, avec une option pour la saison suivante, une rémunération mensuelle brute de 3 200 euros, la mise à disposition d’un véhicule et un début d’activité fixé au 1er juillet 2012, mais, dans un courrier électronique électronique postérieur, le club indiquait ne pas pouvoir donner suite aux contacts noué avec le joueur, ce dernier adressant le contra signé. En clair, il s'agissait d'une rétractation de quelque chose, d'une offre ou d'une promesse de contracter, c'est à voir, le joueur considérant évidemment qu'il s'agissait d'une promesse d'embauche, le club d'une simple offre librement rétractable.
La Cour d'appel de Montpellier, considérait qu'un contrat de travail avait été conclu et que celui-ci avait été abusivement rompu :
Attendu que pour condamner l’employeur au paiement d’une somme à titre de rupture abusive du contrat de travail l’arrêt retient qu’il résulte d’un courrier électronique adressé, le 25 mai 2012, par le secrétariat du club qu’une promesse d’embauche a été transmise à l’agent et représentant du joueur de rugby, que la convention prévoit l’emploi proposé, la rémunération ainsi que la date d’entrée en fonction, de sorte que cet écrit constitue bien une promesse d’embauche valant contrat de travail, que dans la mesure où le joueur a accepté la promesse d’embauche il en résultait qu’un contrat de travail avait été formé entre les parties et il importe peu que le club de rugby ait finalement renoncé à engager le joueur, même antérieurement à la signature du contrat par le joueur, que la promesse d’embauche engage l’employeur même si le salarié n’a pas manifesté son accord
Cassation, dans cet arrêt, sur lequel nous ferons deux ensembles de remarques.
1) Sur la question de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, la Cour reprend les formules de l'arrêt du 24 février 2017:
Attendu que l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail
C'est une manière de reprendre la question de l'appréciation d'une norme à la lumière d'une autre. La jurisprudence avait largement utilisé cette formule dans les années 1990, à propos de l'interprétation du droit de la vente, à la lumière de la directive non transposée de 1985 sur la responsabilité des produits défectueux (Comp. D. Mainguy, "Les directives non transposées, Libres propos sur une étrange lumière, Mélanges C. Mouly, litec, 1998, t. 1, p. 89).
Désormais, c'est le Code civil version 1804 qui est appliqué "à la lumière" du Code civil version 2016, même si ce n'est pas tout à fait la formule utilisée. Rien n'interdira, sous cette lumière, à la Cour de cassation, pour un contrat conclu avant le 1er octobre 2016 de décider que "Vu l'article 1131 (ancien) du Code civil, attendu que Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite".
En toute hypothèse, la Cour de cassation ne craint pas d'appliquer les dispositions nouvelles, ce qui ressort de la formule utilisée par la Cour :
Attendu que l’acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, constitue une offre de contrat de travail, qui peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire ; que la rétractation de l’offre avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur ;
Attendu, en revanche, que la promesse unilatérale de contrat de travail est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ; que la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis ;
Ces formules correspondent en effet,dans l'attendu qui justifie la cassation, aux articles 1114 à 1116, s'agissant du régime de l'offre de contracter, et de l'article 1124 s'agissant de celui de la promesse de contracter. Elles sont clairement la base juridique de la cassation ; elles sont appliquées nonobstant la formule de l'article 9, al. 2 de l'ordonnance de 2016.
Elle fait bien mieux : l'article 9, al. 4 promet en effet que la "survie de la loi ancienne" vaut également pour les instances en cours, y compris au stade de l'appel ou de la cassation. Cette exigence, en tant qu'elle concerne des dispositions d'ordre public (y compris donc au stade de la formation du contrat) est balayée par la Cour de cassation.
2) Sur le fond, la cassation est promise en ce que :
Attendu que pour condamner l’employeur au paiement d’une somme à titre de rupture abusive du contrat de travail l’arrêt retient qu’il résulte d’un courrier électronique adressé, le 25 mai 2012, par le secrétariat du club qu’une promesse d’embauche a été transmise à l’agent et représentant du joueur de rugby, que la convention prévoit l’emploi proposé, la rémunération ainsi que la date d’entrée en fonction, de sorte que cet écrit constitue bien une promesse d’embauche valant contrat de travail, que dans la mesure où le joueur a accepté la promesse d’embauche il en résultait qu’un contrat de travail avait été formé entre les parties et il importe peu que le club de rugby ait finalement renoncé à engager le joueur, même antérieurement à la signature du contrat par le joueur, que la promesse d’embauche engage l’employeur même si le salarié n’a pas manifesté son accord ;
Qu’en statuant ainsi, sans constater que l’acte du 25 mai 2012 offrait au joueur le droit d’opter pour la conclusion du contrat de travail dont les éléments essentiels étaient déterminés et pour la formation duquel ne manquait que son consentement, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Par conséquent, l'offre de contrat n'était pas une promesse de contrat de travail, mais une simple offre de contrat de travail, librement révocable donc, dans la mesure où "l'offre" ne comprenait pas de droit d'opter pour la conclusion de celui-ci. Il faudrait voir les pièces du dossier et notamment le document transmis par le club, dans la mesure où l'arrêt évoque successivement la transmission d'une offre de contrat de travail, par le club, et l'envoi d'une promesse d'embauche, par l'agent du joueur. peu importe ici mais on peut remarquer que la Cour de cassation aurait pu considérer que, bien que l'article 1124 du Code civil dispose que la rétractation de la promesse de fait pas obstacle à la formation du contrat promis (ce qui est l'exact contrepied de la formule de l'arrêt du 11 mai 2011), il demeure que la question se pose toujours de l'efficacité d'une rétractation de la promesse de contracter avant l'option, dans la mesure où l'exécution forcée d'une promesse rétractée demeure difficilement concevable. On voit cependant à l’œuvre ici un premier effet particulier de l'article 1124 : la promesse de contracter, rétractée avant l'option par le bénéficiaire, ne fait pas obstacle à ce que le contrat, ici de travail, soit formé, de sorte que la rétractation s'analyse non point en une rupture du contrat de promesse mais en une rupture du contrat promis. On remarque alors que cette rupture du contrat promis serait sans doute efficace (toujours pas d'exécution forcée en nature, et heureusement) mais surtout que la Cour de cassation se retranche du côté du régime de l'offre, librement rétractable, pour assurer sa solution.
Contrat de travail, formation
Demandeur : l’Union sportive carcassonnaise
Défendeur : M. Adriu X...
Sommaire : L’acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, constitue une offre de contrat de travail, qui peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire. La rétractation de l’offre avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur.
En revanche, la promesse unilatérale de contrat de travail est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis.
Sur le moyen unique, qui est recevable :
Vu les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, et L. 1221-1 du code du travail ;
Attendu que l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail ;
Attendu que l’acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, constitue une offre de contrat de travail, qui peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire ; que la rétractation de l’offre avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur ;
Attendu, en revanche, que la promesse unilatérale de contrat de travail est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ; que la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X..., joueur international de rugby, a reçu courant mai 2012 du club de rugby, société Union sportive carcassonnaise, une offre de contrat de travail pour la saison 2012/2013, à laquelle était jointe une convention prévoyant l’engagement pour la saison sportive 2012/2013, avec une option pour la saison suivante, une rémunération mensuelle brute de 3 200 euros, la mise à disposition d’un véhicule et un début d’activité fixé au 1er juillet 2012 ; que dans un courrier électronique adressé le 6 juin 2012 à l’agent du joueur, le club indiquait ne pas pouvoir donner suite aux contacts noué avec ce dernier ; que le 12 juin 2012, le joueur faisait parvenir le contrat au club, alors que, le lendemain, son agent adressait la promesse d’embauche signée ; que soutenant que la promesse d’embauche valait contrat de travail le joueur a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir le paiement de sommes au titre de la rupture ;
Attendu que pour condamner l’employeur au paiement d’une somme à titre de rupture abusive du contrat de travail l’arrêt retient qu’il résulte d’un courrier électronique adressé, le 25 mai 2012, par le secrétariat du club qu’une promesse d’embauche a été transmise à l’agent et représentant du joueur de rugby, que la convention prévoit l’emploi proposé, la rémunération ainsi que la date d’entrée en fonction, de sorte que cet écrit constitue bien une promesse d’embauche valant contrat de travail, que dans la mesure où le joueur a accepté la promesse d’embauche il en résultait qu’un contrat de travail avait été formé entre les parties et il importe peu que le club de rugby ait finalement renoncé à engager le joueur, même antérieurement à la signature du contrat par le joueur, que la promesse d’embauche engage l’employeur même si le salarié n’a pas manifesté son accord ;
Qu’en statuant ainsi, sans constater que l’acte du 25 mai 2012 offrait au joueur le droit d’opter pour la conclusion du contrat de travail dont les éléments essentiels étaient déterminés et pour la formation duquel ne manquait que son consentement, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 1er juin 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ;
Président : M. Frouin
Rapporteur : M. Flores, conseiller référendaire rapporteur
Avocat général : M. Liffran
Avocats : SCP Marlange et de La Burgade - SCP Rocheteau et Uzan-Sarano