Dans le cadre du séminaire de recherche
Robots, machines, personnes au travail
De l’esclave au robot singulier, découvrez ci-joint le recueil de mémoires (format pdf) des M2 Droit privé économique et Consommation concurrence :
Droit et robots dans la littérature, le cinéma et les séries (constats et anticipation des difficultés juridiques) D. Mainguy (dir.)
Sommaire
Introduction et présentation
Daniel Mainguy, Professeur à l’Université de Montpellier
I. Des robots et des hommes
1. « Rossum’s Universal Robots » de Karel Capek
Léa Padovani (M2 Droit privé économique, CDCM, 2015-2016)
2. Ex Machina
Imane Aouiss (M2 Droit privé économique, CDCM, 2015-2016)
3.1. Réflexions à partir de la série « Humans »
Antoine Burgensis (M2 Droit privé économique, CDCM, 2015-2016)
3. 2. Etude de la série Real Humans
Casimir Bes, Droit Privé (M2 Droit privé économique, CDCM, 2015-2016)
4« 1984 », par George Orwell
Anouk Gaume (M2 Droit privé économique, CDCM, 2015-2016)
5. Les androïdes rêvent-ils de l’article 4 de la DUDH?
Faustine Jolivet et Jorge Santana de Oliveira (M2 Concurrence et consommation, CDCM, 2015-2016)
6. Bob Morane, de l'ère industrielle au règne des machines
Lyes Messaoud-Nacer (M2 Droitprivé économique, CDCM, 2015-2016)
7. La vérité avant-dernière, de Philip K. Dick
Sophie Peyratout (M2 Droit privé économique, CDCM, 2015-2016)
8. La fille automate » de Paolo Bacigalupi
Sophie Porter (M2 Droit privé économique, CDCM, 2015-2016)
9. 2001, L’Odyssée de l’espace
Virgil Walter (M2 Droit privé économique, CDCM, 2015-2016)
II L’homme robot
1. The Minority Report de Philip K. Dick
Victoria-Bella ATSE (M2 Droit privé économique, CDCM, 2015-2016)
2. Est-il possible de concevoir Robocop (Film Version 1987) comme une entité juridique intermédiaire entre un sujet et un objet de droit ?
Ana Marchant Jorquera (M2 Droit privé économique, CDCM, 2015-2016)
3. L’homme bicentenaire d’Isaac Asimov
Elodie Verardi (M2 Droit privé économique, CDCM, 2015-2016)
Tout une série de livres, colloques, articles de doctrines, parutions diverses, à caractère scientifique, parfois juridiques, paraissent, avec une ampleur exponentielle, à la mesure de l’idée que l’on se fait des progrès de la robotique, de l’intelligence artificielle, des robots, l’ensemble étant amplifié par d’une part un ensemble de peurs, de type millénaristes, à l’idée que ces robots, un jour, nous écraseront, d’une manière ou d’une autre : ils nous écraserons parce qu’ils seront devenus plus forts, plus nombreux, plus intelligents, dans cette logique catastrophiste de 2001 l’Odyssée de l’espace, Terminator ou Matrix, ils nous sublimerons parce que l’homme de demain (les plus riches en tout cas), tel Robocop, seront des entités mi-homme, mi-robot ou bien parce qu’on ne fera plus la différence entre un homme et un robot, comme dans la série suédoise Real Humans, ou le film I.A. ou ils nous endormiront parce que nous serons tellement habitués à ne plus rien faire, que l’humanité sera divisée entre des hommes sur-aidés par des robots, fats, oisifs mais riches et dominants (comme dans Wall-e), et des hommes confinés à des tâches ordinaires.
En attendant ces futurs supposés (je me souviens que, au début des années 1980, on disait qu’en 2000 les voitures voleraient ; nous sommes en 2016, et elles roulent toujours, de plus en plus nombreuses et toujours à l’essence), il demeure qu’on ne peut pas nier que les robots, et ce depuis très longtemps, sont présents dans l’imaginaire, au moins occidental, sous les différentes figures de machines, en général à figure humaine ou quasi humaine. Ce sont parfois des machines humaines proprement dites, telle la figure de Frankenstein, ou celle du Golem, à Prague, voire celle de l’Homme de Fer, toujours à Prague, qui une fois par siècle attend qu’une jeune fille le délivre, et depuis les années 1930 la figure des robots. Robot, terme dont on s’accorde à considérer qu’il provient d’une pièce de théâtre de Karel Capek, intitulée R.U.R (Rossum's Universal Robots), où le terme « robot » serait tiré du mot « robota » qui signifierait travail pénible, voire asservi. Cette étymologie n’est d’ailleurs inintéressante en ce qu’elle renvoie la figure du robot à celle de l’esclave, c’est-à-dire d’une personne qui pourrait être reconnue comme personne (elle l’était avant d’être esclave, ou bien elle peut être affranchie), mais alors objet d’un droit de propriété, même particulier, et ce indépendamment des capacités physiques ou intellectuelles de l’esclave, qui dépassent celles du maître, ou du nombre d’esclaves qu’il possède. Dès lors, à la figure de l’esclave et donc des techniques juridiques de maîtrise de celui-ci, surgit la figure inversée de l’esclave révolté, et ce faisant des moyens d’empêcher, de mâter ou de reconnaître la possible révolte de l’esclave : la Révolution française offre ainsi une figure, fausse mais puissamment ancrée, d’une révolte aboutie des gueux, conquérant d’une liberté, d’une égalité et d’une fraternité pour tous, alors même qu’elle sera suivie de l’invention du contrat de travail, compris par l’analyse marxiste à travers le prolétaire, comme une forme d’esclavagisme et l’évolution du droit du travail montre le celle des techniques permettant d’empêcher, de mâter puis de reconnaître le droit de la révolte des prolétaires, des salariés, le droit de grève et à la négociation sociale notamment.
En toute hypothèse, la figure du robot, parce qu’elle n’existe pas, ou pas encore, à supposer que le robot type existera jamais, offre, pour la littérature ou le cinéma un formidable moyen de présenter un regard, détourné voire dégagé, sur notre société qui n’est plus présentée comme telle puisque, en général (mais pas toujours, cf. la série Real Humans), une société d’un passé perdu, d’un futur ou d’un ailleurs, où les robots sont des entités particulières que les créateurs peuvent invertir de toutes sortes d’intentions, dans une société particulière qui peut être parée de toutes sortes de vertus ou de tares. Nul ne se trompe cependant, ce sont bien nos sociétés contemporaines, et nous-mêmes, derrière les robots ou ceux qui les contrôlent, qui sont alors mis en scène.
C’est d’ailleurs la vertu de la littérature que de présenter ainsi, à travers des auteurs qui ne sont en général ni des juristes, ni des philosophes, ni des anthropologues, ni des scientifiques spécialistes dans une discipline particulière, mais qui sont au contraire des personnes ordinaires douées de vertus extraordinaire d’écriture et d’imagination que de proposer une représentation de la société telle qu’ils la perçoivent ou la craignent et donc, par exemple, du droit, au sens large. Il est singulier, par exemple que les lois de la robotique aient été imaginées par Isaac Asimov, qui n’avait aucun lien avec le monde des juristes, dans la nouvelle Cercle vicieux parus en 1942.
La discipline droit et littérature, ou plus exactement Law et litterature puisqu’il s’agit d’une des branches tardives du mouvement du sociological jurisprudence c’est-à-dire du mouvement qu’on désigne sous la formule vague du réalisme américain né dans les années 1920 pour proposer une nouvelle manière d’aborder le droit et notamment la manière d’interpréter les règles de droit, alors dominées par la règle du précédent, dans un contexte où le droit d’avant paraît mal assuré pour s’appliquer aux problèmes juridiques d’alors (automobiles, industrialisation, montée du capitalisme, financiarisation, etc.), mouvement d’ailleurs inspiré des écrits français de Gény ou de Demogue, qui ne connurent pas le même succès en France, mais c’est un autre débat. L’idée repose sur le fait que le droit n’est jamais qu’une manière de percevoir le réel, et que la théorie du droit ne peut pas être enfermée dans son propre jargon . Pour changer de méthode, peut-être faut-il changer de méthode d’enseignement du droit, le Case Law de Llewellyn voire l’étude des œuvres littéraires et la manière dont, dans celles-ci, le droit est représenté.
Il demeure que, indépendamment du rôle théorique de la perception du droit dans les œuvres littéraires ou cinématographiques, voire dans ce genre montant que sont les séries télévisées, l’observation de ces œuvres est intéressante soit pour identifier des solutions à des problèmes juridiques, soit des problèmes juridiques correspondant, de près ou de loin, à des difficultés actuelles.
Appliquée à la question des robots, la recherche de la perception du droit dans la littérature a permis aux étudiants du Centre du droit de la consommation et du marché, plus spécifiquement ceux du M2 Droit privé économique, de tenter d’expérimenter cette démarche, pour s’intégrer dans un programme de recherche intitulé « Machines, Robots et personnes au travail, de l’esclave au robot singulier » au sein de l’UMR-CNRS 5815 « Dynamiques du droit », qui doit pouvoir permettre de confronter divers points de vue, dans l’idée selon laquelle, face aux outils, aux machines, quelles qu’elles soit, les sociétés humaines ont su établir divers types de règles juridiques permettant d’organiser un droit des choses, des objets, es machines, dont les plus spectaculaires, et ceci posé sans anachronisme ,sont le traitement de l’esclave, alors considéré comme une chose, mais une chose particulière, dont l’affranchissement possible rend par exemple compte, ou les machines colossales que furent le marteau-pilon ou le moteur, et appelés à produire des évolutions juridiques massives, y compris dans la compréhension du mode de production du droit lui-même.
Invités à identifier des œuvres, littéraires, cinématographies ou de télévision, les étudiants ont alors proposé une confrontation entre les leçons qu’ils ont tirées de la lecture ou le visionnage de ces œuvres, et des problèmes juridiques à identifier, souvent, d’ailleurs, comme ils le constatent, dans une perspective catastrophiste, mais pas toujours, comme dans les œuvres d’Asimov, qui détestait les ouvrages de science-fiction dans lesquels les extra-terrestres étaient systématiquement représentés comme des menaces de destruction. C’est la raison pour laquelle, changeant de point de vue, il a proposé une œuvre dans laquelle les robots disposent d’une place, supposée organisée, notamment grâce aux « trois lois de la robotique », complétées ensuite pour tenter de rendre compte à la fois de l’autonomie fonctionnelle du robot de l’homme, mais également de la dépendance, à la supposer possible, ontologique, de l’homme sur le robot, par la mise en œuvre de ces trois lois. C’est d’ailleurs ce qui explique que la page de garde s’ouvre sur une image inquiétante : les robots sont la promesse de destruction de l’homme, dont l’image est la plus représentée, sans oublier le petit robot qui suit : au fond les robots pourraient n’être que des machines, très perfectionnées, mais très utiles au quotidien, parfaitement domptées, en général.
On peut alors constater que la plupart des œuvres invitant à la considération de la cohabitation de L’homme et du robot, qui constituera la première partie de cette présentation, repose, de près ou de loin sur cette difficulté. Autre est la question de l’homme robot, qui se présente comme la considération de l’homme augmenté, ou de l’homme transformé, qui agite beaucoup la recherche médicale mais également les grandes firmes de l’informatique, de l’Interne et et/ou de l’informatique : il ne s’agit plus, alors, de méditer sur la nature juridique de la prothèse, mais bien de la condition de l’homme lui-même dans une hypothétique vie allongée, augmentée, etc. dans laquelle l’homme prendrait ses distances avec Dieu en moderne Prométhée, et dont on imagine que cette vie fantastique sera réservées à quelques happy fews fortunés et où on rejoint, alors les classiques de la sciences fictions, dont l’éternel Meilleur des Mondes d’Aldous Uxley paru en 1932 (comp. J.-C. Ruffin, Globalia, 2004) : entre utopie, uchronie et dystopie, donc, les treize mémoires ici reproduits tentent de présenter ce qui, finalement, n’est jamais que la somme des conjonctures humaines élémentaires.